L'Astre Tyran

[Iala Iédastré]

Iala aime Nath. Elle s’y est baignée souvent, ressentant la puissance de ses habitants, leur puissance et leur dangerosité. Elle ne s’y hasarde que lorsque son esprit est parfaitement serein, comme si cela représentait sa sauvegarde. Elle sait effleurer l’onde avec discrétion, comme pour ne pas déranger ses hôtes prisonniers et pour les gratifier d’un peu de sa paix intérieure. Elle n’est pas une ennemie, pas une opportunité. Elle est une visiteuse d’un autre plan… étrangère à leur univers, simple empreinte fugace d’un monde extérieur qu’ils ne reverront jamais.

***

Après l’affrontement psychique avec le vieillard, Iala s’accroupit sur le sable de la berge, Tanak et Nico poursuivant un combat dont elle se sent curieusement distanciée.

Elle se concentre sur elle-même pour retrouver son calme. Elle éprouve bientôt un sentiment étrange, comme si le lac – son lac – réprouvait cette agitation. En une seconde, elle est persuadée que le vieil homme n’appartient pas aux fantômes de Nath, pas vraiment. C’est comme si le lac rejetait ou désapprouvait le vieux. Le sentiment est à la fois confus sur le fond, mais impérieux dans sa forme.

Iala ressent la douleur de Nico et de Tanak mais, soudainement, elle se sent plus agacée qu’inquiète, comme le témoin de disputes puériles. Elle oublie les souffrances de ses amis, elle oublie les sabres au fond de l’eau, elle oublie qu’elle n’est qu’un petit chevalier bien impuissant face à ses maîtres. Autre chose l’habite… la conviction d’une évidence qu’elle ne discerne pas vraiment…

Je suis stupide et irrationnelle… pense t-elle

Mais elle se dresse, se dirige vers le vieillard :

- ASSEZ !

Son ordre s’adresse aux trois hommes et vient en écho de celui de Tanak, mais elle ne s’en rend pas compte.

Elle saisit le poignet squelettique avec fermeté mais sans rudesse :

- Maintenant que vous avez tous bu, nous ferez vous l’honneur de partager notre repas ?

Iala tire la loque dégoulinante vers la berge, comme si son consentement était une évidence. Elle poursuit avec le naturel souriant d’une hôtesse bien éduquée :

- Nous serons heureux de vous accueillir dans notre humble foyer. Vous pourrez y trouver quelques vêtements secs.

[Nico Aries]

Une lumière aveuglante apparaît au bout du tunnel. Petit à petit la chaleur remplace le froid qui gagnait le luxien. Une silhouette se dessine dans l’embrasure des portes du paradis et révèle un être encapuchonné qui avance vers Nico. Le visage barbu de l’inconnu ne l’est plus pour très longtemps, c’est Pheonatix en personne. Il est dit dans certaines cultures religieuses qu’un sage ou un être cher disparu vient vous accueillir lors du passage à un autre plan spirituel. Cela voulait-il dire qu’il était… mort ?! Après tant de combats et d’années de lutte, il aurait succombé à ses blessures, saigné à blanc par une bestiole aquatique lambda ? Il avait besoin de réponses.

- Maître, c’est vous ? Je rejoins la Force à mon tour ?

Un large sourire s’affiche sur la figure broussailleuse de ses souvenirs. Nico pense y deviner une forme de compassion confraternelle. Chez lui c’est le regret qui prédomine, le sentiment de n’avoir pas accompli tout ce qu’il aurait voulu dans sa vie. Et puis c’est la volte-face et la sensation de prendre un coup de pied au derrière qui survient. Une voix forte accompagne sa chute vers les ténèbres.

- Tu n’as pas encore assez de points retraite dans la Force. Vas bosser feignasse.

Le réveil est douloureux, la blessure physique le rappelle au monde des vivants. La vision encore trouble, Nico peine à se relever mais sent que sa blessure a été soignée et qu’un antidote lui a été administré. Iala ? Il ne semblerait pas, il ne sent pas sa présence à ses côtés. Tanak ? Peut-être, mais les soins auraient sans doute été plus rudimentaires. Alors qui ?
La réponse vient avec l’apparition d’un barbu qui s’assit à ses côtés.

- Non mais ça suffit, vous êtes mort et moi j’ai mal donc ce n’est pas le cas. On a déjà assez bien de deux maîtres ici !

- Ce n’est vraiment pas très sympa de souhaiter la mort de ceux qui prennent soin de vous… On va mettre ça sur le dos des séquelles…

Sa vision récupérée, Nico reconnait Bardan Jusik qui devait les rejoindre pour faire un point sur le futur de l’Ordre. Il l’aide à se relever mais il comprend qu’il n’est pas revenu à 100%.

- On peut m’expliquer ce qu’il se passe à la fin ?

Nico réalise qu’auprès du lac, Tanak barbotte avec un bâton à la main tandis que Iala fait la conversation à une peluche qu’elle traîne par une patte. Un vieux miraluka danse et rit autour d’eux en jonglant avec leurs sabres. Cette fois c’en est trop mais le luxien veut un avis extérieur et impartial en se tournant vers son camarade mandalorien.

- Il en a fait assez pour que j’invoque la légitime défense et que je le défonce le vioc ?

[Tanak Leonik]

La vérité

- Contrôle ta colère!

Quelle sorte de luxien était-il pour se laisser ainsi déstabiliser ? Où était donc passé le Tanak qui maîtrisait les évènements ? Celui dont les actions étaient minutieusement préparées et les réactions réfléchies ?

Il toussa.

Ses maux de ventre semblaient terminés mais a priori cette eau n'en avait pas fini avec lui. Qu'avait-il fait exactement ? Avait-ce été pure folie que de boire l'eau du lac ? Et pourquoi semblait-il être bien plus affecté que Nico par le lac ? Non pas que Nico était en forme, mais il s'était évanoui du fait de sa blessure et non du sombre liquide constituant le lac qui avait eu un contact direct avec la plaie du mandalorien.

Etait-il plus affecté uniquement parce qu'il l'avait bu ou bien y avait-il quelque chose de plus ?

Il toussa un peu moins fort.

Ah que sa gorge lui faisait mal. Une simple réaction de rejet ou le signe que le lourd liquide avait effectivement été bel et bien absorbé ? Tanak se fit rouler sur le dos et constata qu'il était encore sur la berge. Les autres s'en retournaient vers l'abris. Iala tenant le petit vieux par le poignet, celui-ci se laissant mener avec un sourire presque enfantin et Nico porté par un autre homme que Tanak ne connaissait pas mais qu'il identifia comme quelqu'un de confiance étant donné que Iala semblait lui laisser son mari sans problème. Le petit vieux annonça de manière tout à fait énigmatique:

- Etrange assemblée que le Lucide, l'Ancien, le Suspicieux, le Petit Phénix et sa Rigoureuse Immaculée d'épouse!

Il partit d'un rire suraigu et incontrôlé. Tanak fut étrangement frappé par ce que le vieillard venait de dire. Comment savait-il ce qu'il semblait savoir ? Ou bien ne savait-il tout simplement pas et lançait des idées en l'air ? Et qui désignait-il sous chaque appelation ? Mais il n'eut pas le temps de lui demander quoi que ce soit que le petit groupe s'avançait déjà vers leur lieu de pitance. Tanak n'avait pas le choix, il fallait les suivre s'il voulait satisfaire à sa curiosité. Au moins cela, il ne l'avait pas perdu, à l'inverse de son contrôle sur lui-même. Ainsi, il se leva tant bien que mal et se revêtit dans la douleur avant de pouvoir commencer à les suivre lentement, en trainant des pieds, comme abattu par un lourd fardeau.

Le fardeau était tel qu'avant d'arriver, il dût s'arrêter à trois reprises et même s'asseoir une fois. C'est fatigué, presque accablé, qu'il rejoignit le petit groupe à l'intérieur. Tout naturellement, il signala sa présence de manière peu contrôlée en toussant encore une fois. Une manière comme une autre de dire "c'est moi" se dit-il dans un sourire triste.

Nico était sur un lit en train de délirer tandis que son épouse s'occupait de leur nouvel invité. Celui-ci ne perdait pas sa bonne humeur, abreuvant son hôtesse de paroles qui ne faisaient que peu de sens à l'esprit fatigué du Luxien. Ne voyant pas d'autre lit à portée, il s'assit en tailleur simplement et ferma les yeux, il avait besoin de repos et la méditation lui avait toujours été utile pour se calmer et prendre un peu de recul sur les évènements. Il était dans un état tel que les piques – ou ce qu'il pensait en être – du vieillard ne l'atteignaient plus.



Il respira lentement et profondément à plusieurs reprises comme pour reprendre le contrôle sur les évènements. Très rapidement, la douleur qu'il ressentait encore au niveau de la gorge se fit plus vive. Il se retrouvait effectivement complètement à l'écoute de son corps et il se rendait compte qu'il était pris de tremblements à cause de la fraicheur de l'eau et du choc que la "dégustation" avait causé. Mais peu à peu, il intégra ces désagréments physiques pour libérer son esprit et douleur comme trembements disparurent peu à peu.

Cela ne lui ressemblait pas de se jeter la tête la première dans un piège. Pourquoi en était-il arrivé là ? L'attrait du lac avait été fort. Mais avait-ce été le fait du côté obscur ou de sa curiosité naturelle ? Qui était enfin ce petit vieux et quelle était sa relation avec le lac ? Que savait-il d'eux exactement ? Pourquoi avait-il voulu leur faire boire ce qu'il avait lui-même nommé "eau de vérité" ?

Trop de questions sans réponses. Il se mit à respirer plus profondément encore, comme s'il tentait de raffermir le maigre contrôle qu'il avait déjà pu acquérir. Il saurait le fin mot de cette histoire suffisamment vite. Et doucement, il termina sa courte mais ô combien utile méditation.

Nico et son comparse achevèrent de le sortir de son état de stase. Ils semblaient les voir dehors auprès du lac.

Tanak jeta alors un coup d'oeil sévère au vieillard :

- J'ai dit "assez".



En quelques instants, l'illusion dont Nico et son comparse étaient victimes cessa. Ce qui ne fut pas pour plaire au vieillard qui prit une moue de gamin boudeur avant de reprendre un sourire angélique – quoique toujours édenté - avant de leur dire simplement:

- Je crois que vous avez des questions pour Gahan Dhelef. Puis sentant l'interrogation de ses interlocuteurs. C'est mon nom. Enfin, celui que mes parents m'ont donné il y a plus d'années que de brins d'herbe sur la berge de Nath.

Cela en soi ne voulait rien dire car Tanak l'avait vu d'assez près pour réaliser qu'il n'y avait pas d'herbe sur la berge mais qu'une terre sèche et des roches dont les couleurs démeuraient fidèles à une charte graphique gris-noire.

- Dhelef, je connaissais quelqu'un de ce nom sur ... Lehon. Latisha. Alors Tanak réalisa. Vous ? Non. Vous êtes son frère ?
- Oui, c'est bien moi. Il avait maintenant pour la première fois l'air lucide et sincèrement touché. Lat' était ma jumelle.
- Où est-elle ?
- Morte, évidemment. Il avait répondu de manière brusque. L'Empire, loué soit-il, a tué des milliers de Luxien lors de son attaque sur Lehon. Elle en faisait partie...

Un silence pesant s'installa alors dans la pièce. Les "je suis désolé" de rigueur dans ce genre de circonstances paraissaient toujours trop faibles face à la perte d'un être cher.

- Et où étiez-vous alors ?
- Blessé. J'ai été parmi les premiers évacués. Avant que l'Empire ne nous mette la main dessus. Nous avons perdu contact avec les autres luxiens et avons fui là où nous le pouvions, de planète en planète. Ne restant jamais longtemps de peur d'être repérés ou achevés.
- Nous ?
- Moi et les 8 infortunés qui étaient dans le même cargo lors de notre fuite. Parfois je me dis qu'il aurait mieux fallu mourir sur Lehon que vivre ce qui a été vécu depuis... Il retomba dans le silence avant de reprendre d'une voix mal assurée. Tout ça pour finir sur Ambria. Les esprits de Nath nous ont aidé... L'eau ! Il prit une voix presque implorante. Nous étions 9 pour partager ce fardeau. Mais chacun a fini par sombrer. Moi le premier. Mais il faut croire que j'ai toujours plus envie de vivre que les autres. Ils ont fui le lac il y a bien plusieurs mois mais je sais qu'ils sont morts. Cette eau a beau être la pire qui soit, c'est la seule qui nous permettait d'oublier les pertes... Il fut pris de tremblements avant de reprendre un grand sourire. Heureusement que vous êtes arrivés! Nath vous cherchait. Enfin, Ils vous cherchaient. Ils voulaient l'Ancien et l'Esclave. Ceux qui avaient répandu tant de sang sur les berges de Nath.

Tanak eut un regard gèné, éprouvant du dégoût pour lui-même. Encore une preuve du manque de contrôle de ce soi-disant Grand Maître Luxien qu'il avait été. Il n'avait jamais mérité cet honneur et l'était devenu car sinon il aurait été probable que tous terminent dans des situations semblables à celle de Gahan Dehelf : la mort ou la folie. Mais l'édenté ne s'arrêta pas en si bon chemin.

- Je suis libre maintenant... Je crois. Après tout j'ai rempli ma mission, hein ? Sa voix se fit de nouveau implorante. Je suis désolé pour ce poison mais après tout, les effets sont differents sur chacun! Et s'ils souhaitaient vous le confier, c'est peut-être que ce n'est pas si mauvais pour vous!
- Et que suis-je sensé faire d'un tel "don" ?
- Oh... J'imagine que vous le saurez bien assez tôt. Puis sentant la forte suspicion de Tanak. Vous en faites une de ces têtes, j'ai pas enduré ça pendant plus de deux ans pour ne pas même recevoir de remerciements!

L'ancien seigneur de Nar Shaddaa inclina doucement la tête, de sombre humeur.

- Vous avez parlé d'une "eau de vérité"
- Oh ça oui! La vérité qu'il faut accepter! Il n'est de pire vérité que celle que l'on fait tout pour éviter, celle que l'on retarde toujours. Il n'est rien de plus urgent que ce que l'on retarde.

Tanak le fixa silencieusement. Il n'y avait que deux secrets qu'il n'avait jamais eu hâte de découvrir. Ils n'étaient liés que par un seul mot : Ondéron.

Un peu plus tard pendant le repas, Gahan tenta de le réconforter.

- Vous savez l'Ancien, vous avez fait le premier pas vers cette vérité. Le plus difficile, il paraît.

[Iala Iédastré]

Un pas de plus dans la guérison de Force

Iala n’a qu’une obsession : canaliser le vieillard qui semble les mener droit à la folie. Mais si cette volonté la mène, son cœur est avec Nico. Elle a perdu le contact avec lui : son esprit divague, le soustrayant à la souffrance, mais le laissant impuissant à combattre le mal qui se répand en lui. Elle sent le poison couler dans ses veines et cela l’angoisse.

Sa maîtresse en guérison, Cho Leem, peut-être la plus puissante guérisseuse que les jedis n’aient jamais eu, lui a enseigné que leur pire adversaire est le poison qui s’insinue dans les cellules les plus inaccessibles.
Tirant le vieillard par le bras, elle a envoyé une onde de Force de guérison vers Nico, mais elle doute qu’à distance, elle ait pu être très efficace.

Arrivés dans leur refuge, Iala touche Tanak brièvement, concentrant la Force de soins vers lui, lui apportant un peu de soin et d’énergie. Le maître luxien aurait besoin de davantage d’attention mais il devra s’en contenter. Le cœur de la luxienne s’affole car elle sent que Nico sombre à nouveau. Elle abandonne brutalement son rôle d’hôtesse : Tanak a pris la relève et, malgré sa faiblesse, il retient l’attention du vieux fou.

Bardan a dévêtu entièrement Nico et l’a recouvert d’une couverture de survie. La femme repousse la protection et découvre le corps de Nico brûlant, recouvert de marbrures violacées. Elle soulève la compresse au bacta que Bardan a posé sur la plaie. Un exsuda de pu verdâtre et de sang noir vicié s’en écoule lentement. Iala retient un gémissement de détresse : malgré ses premiers soins, Nico est mourant et son état d’inconscience du blessé ne lui a pas permis d’en prendre la mesure ! Elle se jette à genoux près de lui et enserre son crâne entre ses mains. Le monde extérieur disparaît. Il n’y a plus que deux corps unis par un courant de Force catalysé par l’amour de Iala.
Les vagues de Force, persévérantes et obstinées, s’insinuent dans le corps de Nico, encore et encore. Elles cherchent les tanières des toxines dans cellules les plus reculées, les traquent, les repoussent les expulsent vers la plaie qui semble bouillonner d’un flux répugnant. La Force de guérison purge les organes vitaux, puis elle plonge dans les fibres nerveuses, les os, les articulations, les viscères... elle progresse méthodiquement avant de finalement purifier le sang.

La guérisseuse se détache enfin de Nico. Bien que terriblement pâle, la peau du luxien a repris un aspect normal. La plaie est presque cicatrisée. Toujours inconscient, l’esprit de Nico est calme. Iala caresse doucement le torse de son amant puis effleure ses lèvres. Lorsqu’elle veut se lever pour nettoyer la couche souillée et rhabiller le blessé, Bardan vient à son secours. Elle n’avait pas conscience de sa propre fatigue, ni du temps écoulé, ni de ce qui s’est passé autour d’elle.

- Il faudra que je le soigne à nouveau, régulièrement : les toxines sont difficiles à éliminer totalement et leurs effets peuvent se faire sentir plusieurs jours après l’infection, si on n’y prend pas garde.

Bardan sourit, pour montrer sa confiance ou sa compréhension. Tanak et le vieux ont disparu.

- Où est Tanak ? Je dois l’aider aussi.

Bardan explique :

- Ils ont longuement parlé et ensuite ils se sont retirés pour installer des lits de camp dans les espaces de nuit. Au fait, il s’appelle Gahan Dhelef, le vieux. Et Tanak et lui semblent avoir des connaissances communes : il vous racontera ça mieux que moi !

Le Mandalorien va pour se retirer mais il se retourne :

- Vos sabres ont été récupérés, ils sont sur la table.

- Merci Bardan, merci beaucoup.

[Nico Aries]

Rêve ou réalité ? Hallucination, Illusion ? La perception du temps et de l’espace est perturbée au réveil du Luxien. Le lever est pénible, presque douloureux. Les blessures se sont refermées mais la gêne est encore perceptible. Nico sent encore la présence bienveillante de Iala à ses côtés. Elle a dû le quitter il y a peu, la place est encore chaude. Elle repassera sans doute le voir sous peu, se faire du souci est devenu une seconde nature pour elle depuis qu’elle est entrée dans sa vie. Mais elle ne s’en est jamais plainte bizarrement, elle avale les couleuvres et soigne les blessures avec abnégation.

Nico est maintenant assis sur le bord de la couche. Il remarque ses affaires rangées impeccablement dans un coin de la pièce. Il pourrait être abattu ou déprimé de n’avoir servi à rien en plus d’être un fardeau mais ce n’est pas son genre. Il ne prendra pas sa retraite à piéger les sales bêtes nageant au fond du lac. Lui, grommelle dans sa barbe pour maudire son incompétence et se remonter contre ses limites. Il n’est pas assez fort pour surpasser tous les obstacles sans toutes ses armes. Les conditions étaient difficiles, il le sait, mais il ne cherche pas d’excuses pour autant. Il s’habille tranquillement, il y a à faire.

Iala entre dans la chambre. Elle semble fatiguée, elle a dû le veiller pendant que lui récupérait. Nico réprime un gémissement au moment d’enfiler sa beskar’gam. Il est des gestes qui tirent encore un peu sur les zones fraîchement soignées. Le sourire satisfait de la Tétienne vient tenter d’apaiser la mine renfrognée du Corellien. Tout maître luxien qu’il est, le convalescent n’en reste pas moins un simple homme. Il a aiguisé son esprit au détour des méandres obscurs de la Force tout au long de sa vie, il a entraîné son corps avec les rudes entraînements mandaloriens, et pourtant il n’en est pas moins qu’un humain avec les faiblesses qui vont avec.

Il frôle ses blessures légèrement avec sa main droite avant de la faire remonter le long de ton torse.

- Merci de m’avoir soigné encore une fois. Je n’ai pas été d’une grande aide et je t’ai causé beaucoup de soucis en plus…

Le poing serré sur sa poitrine, il fait une promesse, à sa femme mais surtout à lui-même.

- Si tu crois encore en moi, je ferai mieux la prochaine fois. Je ne suis pas grand-chose sans mon armure ni mon bouclier mais je ferai toujours mon possible pour assurer ton avenir et celui de nos enfants.

Nico n’attend pas spécialement de réponse. Il est assez rare qu’il en ait d’ailleurs, du moins pas verbalement. Il y a longtemps qu’ils ont passé le stade de la parole pour ça. Elle croît moins que lui dans la force des mots, elle a longtemps dû les utiliser pour manipuler ou du moins parvenir à ses fins en tant que diplomate. Lui ne s’en sert que pour promettre, l’enfer à ses ennemis comme ses meilleurs vœux à ses proches. Rien ne sert d’en faire trop, il sait qu’elle l’aime beaucoup plus quand il agit que quand il se confond dans des mots souvent trop grands pour lui.

Son regard se pose sur le dispositif d’enregistrement laissé à son intention par Bardan. Le vieux s’est calmé et est passé à la discussion avec Tanak. Nico étant inconscient, son compère mandalorien avait bien pensé que le sujet l’intéresserait malgré tout. Au moins il était au courant de la situation. Qui aurait pensé que l’ancêtre était un rescapé de Lehon tout comme lui ? Leur devoir était sans doute de s’occuper de lui maintenant, pourtant la gêne était toujours présente. Il y a des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir ou connaître, pourtant elles peuvent causer plus de problèmes dans l’ombre que les maux visibles bien connus.

Sans un mot de plus, le Luxien entraîne sa moitié par la main en direction de la salle commune de leur tanière. Tanak s’y repose avec son flegme habituel mais un air maussade reflète son esprit embrumé. Le vénérable fou du lac a pris une pause pour vider le frigo en cuisine. Le contenu des réserves de l’abri doit sans doute être une pitance de roi pour une personne vivant à l’année sur cette planète des plus austères. Après lui avoir lâché une tape amicale sur l’épaule pour se signaler, Nico s’installe en face de son plus vieil ami pour le sortir des songes qui l’habitent.

- Moi aussi j’ai cette tête là quand je vis avec les fantômes du passé. Heureusement il y a toujours quelqu’un pour me ramener vers le présent et l’avenir.

Iala devance sa pensée en amenant des boissons chaudes avant de prendre place aux côtés de son homme. Elle va écouter plus que parler pour commencer mais elle est comme ça, elle n’agit qu’en connaissance de cause.

- J’ai eu l’information concernant le vieux. Je n’ai jamais pensé que je serais le seul survivant parmi les fuyards, loin de là. Ce jour devait arriver tôt ou tard et pourtant je n’arrive pas à m’en réjouir…

Bardan fait son entrée à son tour après avoir fait une reconnaissance autour des lieux pour déceler une éventuelle tierce présence, sans succès. Ils sont au complet ou presque. Nico se sert un café avant de s’en remettre à Tanak.

- Bien, j’aimerais qu’on parle de la suite des événements. Je n’ai pas cette légéreté d’aller me promener où bon me semble, nous avons une congrégation à gérer Monsieur le Grand Maître de l’Ordre. Je préférerais ne pas y mêler notre nouvel ami pour le moment, j’ai du mal à m’imaginer lui faire confiance après ce qu’il nous a fait vivre jusqu’à présent… On peut faire la liaison à distance avec les autres si tu es prêt à reprendre ta place dans ce qu’on peut qualifier de Conseil Luxien j’imagine…

Il était temps de rentrer dans des choses concrètes et qui impliquaient un peu plus que leur seule personne.

[Tanak Leonik]

Devoir et humilité

Cela faisait déjà quelques minutes que sa conversation avec Gahan Dhelef s'était terminée. Depuis, il économisait son énergie, méditant pour apaiser ses humeurs : cela avec plus ou moins de succès. En réalité, il avait le désagréable sentiment de ruminer les paroles du miraluka.

Le fou l'avait dit: "Il n'est de pire vérité que celle que l'on fait tout pour éviter. Il n'est rien de plus urgent que ce que l'on retarde". Il n'avait certes pas tord mais retourner sur Ondéron n'était pas une perspective des plus réjouissantes pour l'ancien gamin des rues. Ce qu'il lui restait là-bas ? Des souvenirs pour la plupart douloureux et une famille disparue. Pourtant, il sentait qu'il devait faire ce voyage, ou bien il choisissait de vivre avec des regrets. De plus, il lui fallait élucider le mystère de ce probable sith qui avait assassiné son frère et qui l'avait défiguré. Il voulait comprendre. Que leur avait-il fait ? Comment ? Pourquoi ? Trop de questions qui étaient demeurées sans réponses pendant plus de 35 années. Il était simplement certain que tout ceci avait un lien avec la Force. Peut-être ces évènements avaient même éveillé la Force en lui, chose peu probable mais pas impossible.

Il ne toussait plus.

Cette pensée le frappa. C'était comme si cette fameuse eau avait été enfin absorbée par son corps, comme si ses méditations lui avait permis d'intégrer ce corps étranger plus facilement. Il se sentait comme un estropié auquel on viendrait de faire une greffe d'une main. Comme si on lui avait redonné quelque chose qui lui avait toujours manqué. Etait-ce là un simple effet placebo ou était-ce réellement dû à l'eau ? Celà restait difficile à dire. De même, la courte aide de Iala n'était certainement pas tout à fait étrangère à sa reprise de contrôle sur lui-même.

Malgré tout, il se sentait encore faible, convalescent. Comme Nico, à ce qu'il lui semblait. Le fait de se recôtoyer, et d'avoir été ensemble dans une telle situation de difficulté lui avait permis de raffermir leur ancien lien dans la Force... A moins - encore une fois - que ce ne soit dû à l'eau du lac. En tout cas, il avait ressenti avec une acuité particulière l'intervention de Iala auprès de son époux. Il avait senti une puissante vague régénératrice, pleine d'amour, de passion. Sentiment pouvant parfois pousser à de graves erreurs mais ici maîtrisé. Il avait senti la Force - mère de toute vie – baigner et régénérer son ancien camarade, comme la meilleure des cuves à bacta. Indirectement, cela lui avait aussi donné de l'énergie.

Il avait beau être en bien meilleure forme que plus tôt, cela ne l'empêchait pas de ruminer ses pensées sur Ondéron. Quand devrait-il y aller ? De suite alors qu'il venait à peine de retrouver ses camarades Luxiens après des années d'errance seul ? Ondéron pouvait-elle attendre ?

Au creux de son oreille, il crû entendre susurrer un très léger "non". Comme si on le lui soufflait. Ce "non" ne venait pas de lui. Tout du moins le pensait-il. Mais malgré tous ses efforts pour écouter ce qui pourrait suivre, seul le silence répondit à son interrogation muette.

Lorsque Nico fit son entrée dans la sobre mais néanmoins confortable salle commune de l'abris, c'est avec un visage fermé qu'il fut accueilli. Tanak était absorbé par ses réflexions et ses souvenirs. L'ancien mandalorien engagea la conversation alors que sa femme leur amenait de quoi boire en silence. L'ancien maître de Nar Shaddaa nota cette attitude en retrait et la prit comme une marque de sagesse. A trop vouloir s'exprimer, les mots perdaient leur force.

- Il y a probablement eu d'autres survivants encore. La question était de savoir s'ils étaient encore vivants. Tu ne t'en réjouis pas car tu aurais préféré laisser ces bribes de souvenirs enterrées au plus profond de toi ?

Cette question, il la posait presque plus à lui-même qu'à Nico. La preuve en était qu'il l'avait posé avec une voix presque inaudible. Malheureusement, son camarade n'eut pas le temps de répondre que le troisième larron faisait son entrée.

Apparement, Nico l'attendait pour parler de choses on ne peut plus sérieuses. L'évocation de son titre fit tiquer Tanak mais il laissa au mandalorien le temps de terminer ce qu'il avait à dire. Il se passa encore quelques longues secondes avant que l'Ancien ne commence à parler.

- Effectivement, Gahan aura besoin de temps avant de pouvoir reprendre son rôle au sein de l'Ordre... S'il finit par retrouver ses esprits, ce dont je doute un peu. Sa "mission" étant accomplie, il pourrait tout aussi bien passer l'arme à gauche rapidement. D'ailleurs, il serait bon qu'il ne mange pas trop après tant de jours de privations.

Tanak fit une pause, dévisagea ses interlocuteurs. Il avait besoin de temps pour peser ses mots. Ce qu'il allait dire n'allait pas forcément réjouir le groupuscule qui s'était réuni sur Ambria.

- Mes frères, ma soeur, de Grand Maître je n'ai pas grand-chose. Je n'ai jamais mérité ce titre. Je l'ai pris pour fédérer quand l'Ordre en avait besoin mais je crois qu'il serait plus juste que l'on me l'enlève.

Son regard se faisait perçant, guettant les réactions de ses coreligionnaires.

- Il n'y a jamais eu qu'un véritable Grand Maître de l'Ordre de la Force Luxienne et je ne suis qu'un serviteur. Puis, baissant les yeux. Chaque jour, j'apprends que je ne sais rien.

Il laissa quelques secondes s'écouler. Par ces mots, il remettait son statut au sein de l'Ordre entre les mains des individus ici présent. Il avait conscience qu'une telle décision ne pourrait pas être prise en si petit comité mais il souhaitait prendre connaissance des avis de certains avant de réellement aller plus en avant au sujet d'une rétrogradation dans l'Ordre. Enfin, il conclut:

- Je suis prêt à être membre du conseil, si mes coreligionnaires me jugent digne de l'être.

Après toutes ces années, il ressentait comme un besoin impérieux de légitimer son rôle - quel qu'il soit - au sein de l'Ordre. Après tant d'années à s'affubler de titres idiots comme Seigneur de Nar Shaddaa ou Grand Maître du Nouvel Ordre de la Force Luxienne, il avait aussi ce besoin d'humilité, d'un retour à des choses plus simples. C'était là aussi le fruit de ses années d'errance.

[Iala Iédastré]

Iala écoute Tanak le cœur serré. Voilà longtemps que Nico lui décrit le Grand Maître des Luxiens mais elle ne l’imaginait pas ainsi. Un homme rare, un de ceux dont l’humilité et la sagesse font les très grands hommes. De ceux qui restent dans l’ombre mais dont l’influence est souvent considérable parce qu’ils touchent les cœurs de façon indélébile.

Nico a assuré l’intérim par devoir et elle l'a assisté de son mieux. Aujourd'hui elle assume sa place de simple chevalier de l’ordre et ne veut pas influencer la décision finale.

- Je fais confiance à votre jugement et d’avance je l’approuve.

Elle se retire à pas feutrés vers la pièce qui sert de réserve, où Gahan Dhelef vient de pénétrer à nouveau, attiré irrésistiblement par les victuailles.

Bardan Jusik, après un bref « idem », se dirige vers la salle de combat où se trouvent les droïdes d’entraînement.

Juché sur une caisse l'affamé sifflote, un biscuit à la main, en agitant les jambes en cadence. Il est vêtu d’une combinaison bien trop grande pour lui dont il a retroussé les manches et le bas du pantalon. Mais les plis défaits, il rappelle à Iala un personnage de ces histoires pour enfants. Elle sourit brièvement à cette pensée avant d’être dégrisée par une invective :

- Pouffiasse, fais moi l’amour !

La luxienne retient sa propre main qui s’élançait pour une gifle puissante. L’homme ne semble pas agressif, pas plus sa pensée. Elle déglutit sous l’insulte mais se convainc que le vieux n’accorde pas le sens commun aux mots qu’il profère. Elle inspire pour se calmer

- Que voulez vous dire ?

- C’est simple : j’ai besoin d’amour ! Tu en donnes plus qu’il n’en faut au Petit Phénix, alors j’y ai bien droit aussi… un peu, finit-il par quémander.

« Le Petit Phénix » : elle avait oublié que le vieux avait nommé Nico ainsi, prouvant que les visions étaient bien réelles mais que ses interprétations pouvaient être totalement erronées. Elle s’abstient de rectifier, mais note l’information.

- Je ne vous aime pas, je ne peux pas vous donner de l’amour après ce que vous avez fait à Nico et à Tanak. Jamais : vous avez failli tuer l’homme que j’aime mille fois plus que moi.

- Oh oh, c’est ton amour qui le tuera, qui vous perdra tous les deux. On n’a pas le droit d’aimer ainsi… trop d’émotion… oui oui, beaucoup trop, le code ancien le dit bien ! Et moi je le sais !

Iala pense au code Jedi. L’homme y fait-il référence ? Mais il poursuit, plus ou moins cohérent. Plongé dans ses pensées, il a oublié Iala : il ne parle que pour lui. Son regard blanc se trouble :

- Moi j’ai aimé. Une salope !
- Une descendante d’esclave, une femme magnifique à la peau d’ébène, aux yeux de velours. Je l’ai arrachée à sa condition, elle et son fils, son putain de fils ! Mort, il est mort. Bien fait !
- Elle a été ma compagne plusieurs longues années. Je croyais qu’elle m’admirait sincèrement. Elle disait m’aimer mais elle m’a abandonné.

- Lors de la grande fuite, je l’ai fait monter dans un des premiers vaisseaux, malgé mes blessures. On devait se retrouver sur Tatooine, j’y suis allé et elle n’est jamais venu, j’ai attendu… pas un message, rien. Elle a dû se trouver un autre pigeon, plus riche… voilà !

- Alors après des années d’errance pendant lesquelles j’ai toujours espéré retrouver sa trace… non, non, non… pas espéré. Je l’aurais tuée, c’est ça qu’elle méritait : on n’abandonne pas Gahan Dhelef ! Ambria m’a ouvert ses bras.

- L‘ordure, la saleté de femelle. Je n’arrive même pas à retrouver son visage : elle le fait exprès pour me fuir !

La luxienne laisse le silence s’installer quelques minutes après le monologue décousu. Elle ressent la douleur, l’amour et la rage amalgamés dans l’esprit de l’ancien. Elle n’entrevoit nulle sagesse là dedans !

- Voulez-vous que je vous aide ? je ne peux pas et je ne veux pas, vous donner de l'amour mais je peux vous aider à retrouver son souvenir.

Les mots ont presque échappés à Iala qui se reproche déjà sa proposition.

- Oh oui répond Gahan Dhelef avec une voix d’enfant.

Iala enserre la tête du vieillard de ses mains et elle rentre au plus profond de ses souvenirs. Elle les fait remonter vers le conscient, comme des bulles d’air qui cheminent vers la surface de l’eau, nonchalantes mais opiniâtres.

Lehon. Ensemble, ils voient la femme monter dans un vaisseau. Elle est belle. Malgré la bousculade, elle se retourne vers Gahan,. Sa tunique est distendue sur un ventre prometteur de vie nouvelle. Elle lui crie : « retrouve Lotos, ramène moi mon fils ». Il promet.

La foule hurle, la panique est palpable. Gahan pousse trois de ses jeunes élèves luxiens vers le vaisseau de l’académie, leur dernier espoir, où s’entassent pêle-mêle des luxiens mais aussi des inconnus qui ont pris le vaisseau d’assaut. « Lotos, je m’en moque bien ce n’est qu’un voyou ! Mes luxiens d’abord ». Le vaisseau décolle en catastrophe.

Gahan regarde par le hublot arrière l’immense boule lumineuse en expansion, qui était une planète grouillante de vie, il y a encore quelques dizaines de minutes.

Des bribes de souvenirs épars : les fuites successives, la lutte pour survivre, les combats et leur lot de morts, les tourments d’Ambria… et des visions, des centaines de visions.

Iala s’éloigne de Gahan. Il a pris son visage au creux de ses mains.
La luxienne reste silencieuse. Il faudra du temps pour encaisser la vérité, celle que l’homme a enfouie tout au fond de son inconscient, au profit d’une autre, exempte de culpabilité.

- Vous n’êtes jamais allé la rechercher, n’est-ce pas ? Vous l’avez abandonnée pour ne pas avouer qu’une promesse intenable n’avait pas été tenue ?

[Nico Aries]

Le discours tenu par Tanak laisse Nico un peu perplexe. Il ne sait dire si son vieil ami ne manque pas plutôt de confiance et d’estime en soi plutôt que d’humilité. Certes il a vécu en ermite nomade pensant des années mais est-ce qu’une gargouille vaut mieux qu’un fantôme ? Bien sûr que Tanak aura toujours sa place au sein de l’Ordre, il ne doit pas en douter, pas plus de ses qualités.

- Nous ne sommes pas nombreux à avoir atteint un niveau de maîtrise de la Force élevé dans l’Ordre. Qui serait plus apte que toi à être un guide pour les générations futures ?

La question est un peu plus complexe que cela pour tout dire. Le Luxien en est conscient et c’est peut-être cela qui nourrit sa réserve.

- Tes vieilles habitudes ne sont sûrement pas très compatibles avec une fonction dirigeante cela dit… Mais rien ne t’empêche de garder le titre de Grand Maître de l’Ordre Luxien pendant que je serai celui du Conseil qui le régira pour traîter les affaires courantes. Qu’en penses-tu ?

Nico a beaucoup de choses à raconter à Tanak sur ses projets et ce qu’ils ont réalisé en son absence. Cela prendra du temps de tout présenter et de débattre en fonction mais cette discussion est indispensable pour préparer l’avenir.

- Nous avons déjà préparé une base de fonds pour se reconstruire, d’abord dans une optique humanitaire mais maintenant nos activités sont beaucoup plus larges… Nous allons reprendre le nom de Luxia Corp pour nos activités économiques sans doute. Nous avons recruté quelques figures parmi les manipulateurs de la Force mais nous ne sommes pas pour autant un groupe conséquent. Il faudra sûrement encore recruter, j’ai quelques noms en tête mais j’aimerais savoir tes intentions dans le domaine aussi. Voilà pour nos moyens.

La suite est un peu plus vague, les idées et les projets n’ont jamais vraiment manqué mais tout dépend aussi du temps et du moment pour les réaliser.

- Nous envisageons d’installer quelques hauts-lieux luxiens tout en permettant une rotation des personnels entre les sites, selon leurs activités. L’idée que l’Ordre ne serait pas sédentaire permet aussi d’éviter les mauvaises surprises. Plusieurs lieux ont déjà retenu notre intérêt : Ambria bien entendu, Ruusan, peut-être Lehon, Tython ou encore Tatooine. Nous développerons une logistique importante pour faire le relais, j’ai déjà l’idée d’un vaisseau unique symbole de la philosophie luxienne en tête.

Il y a tellement à dire que Nico a peur de trop se disperser et de perdre ainsi son camarade coreligionnaire au fil de son discours. Il décide d’abréger mais il reste encore un point important qu’il voudrait soulever.

- Nous avons aussi pensé faire reconnaître l’Ordre par le gouvernement galactique. J’ai déjà rencontré Skywalker pour créer une sorte d’alliance libre. Je ne cherche pas l’approbation mais elle pourrait quand-même grandement nous être utile pour l’avenir…

Nico attend maintenant la réaction de Tanak. Il espère qu’ils pourront travailler de concert pour reconstruire l’Ordre mais rien ne dit qu’il soit d’accord sur certains choix privilégiés du Corellien.

[Tanak Leonik]

Grand Maître un jour...

Tanak s'attendait à des réactions différentes. En quoi ? Il n'aurait su le dire mais – clairement – ce n'était pas là ce à quoi il s'attendait. D'une part, l'épouse de Nico qui s'en allait et s'en remettait au jugement de son époux et de son compère mandalorien ; et d'autre part, Bardan qui ne pipait mot, semblant lui aussi s'en remettre à Nico. A croire que les actuels Grands Maîtres de l'Ordre bicéphal étaient bien intimidants.

Ce fut donc logiquement que Nico lui répondit. Sa réaction, à l'image de celles des autres Luxiens présents, le surpris. L'Ondéronien ne pensait pas que son collègue serait aussi réticent à l'idée de le dégrader après tant d'années passées loin de l'Ordre. C'était à la fois quelque chose qui lui réchauffait le coeur et qui l'inquiétait quant à la santé de l'Ordre. Après tant d'années, il n'avait pas été réellement remplacé.

Ainsi, le Grand Maître de l'Ordre Luxien écouta son alter ego sans le couper. Cela ne l'empêchait toutefois pas de réfléchir à chaque pause que Nico faisait. Tel un élève, il s'était mis en situation d'écoute, prêt à absorber toute information importante.

Selon le mandalorien, rares étaient les membres de l'Ordre à avoir atteint un tel degré de maîtrise dans la Force. Cela était vrai, les connaissances du jeune vieillard étaient étendues, quoique de manière largement insuffisante à son goût. Néanmoins, sa maîtrise toute relative de la Force n'en faisait pas forcément un dirigeant compétent pour l'Ordre. Ses pertes de contrôle récentes semblaient abonder en ce sens. Il craignait que sa grande ouverture à la Force ne le pousse à prendre de mauvaises décisions. Au fond de lui, il voulait simplement éviter de vivre un autre Lehon, un autre Iego. Trop de peur, de désespoir, de haine... de passion avaient été ressenties.

Toutefois, la main que lui tendait Nico en lui proposant de lui laisser le contrôle du Conseil demeurait une vraie chance d'enfin se montrer digne de son statut au sein de l'Ordre. D'être présent pour "guider les générations futures". Donner à l'Ordre les moyens d'éviter les erreurs du passé et le protéger alors que les projets semblaient enfin germer. Cela ressemblait à un but clair. Il pourrait enfin redonner à l'Ordre un peu de ce qu'il lui avait apporté.

- Qu'en penses-tu ?

La question le sortait de ses réflexions. Si bien qu'il eut un air probablement un peu hagard pendant quelques instants avant de répondre avec un hochement de tête.

- J'en pense que j'apprécie ton idée, Nico. Mais j'attendrai validation du conseil quant à nos rôles respectifs. Il me semble crucial que le conseil devienne plus qu'un simple organe consultatif à terme. Nous l'avons vu sur Lehon, la perte de notre leader nous a laissés orphelins trop longtemps. Les survivants se sont divisés, certains ont été amenés à d'obscures folies, d'autres plus simplement à la mort. Nous avons besoin d'un conseil fort qui soit garant de la stabilité de l'Ordre. Et ce afin que ceux qui nous succèderont puissent hériter des connaissances acquises.

Le Luxien fit une courte pause. En cela, il rapprochait l'Ordre Luxien des jedis, la prospérité de l'Ordre s'acquérerait dans la stabilité et la paix Pour autant, il existait un point qui l'avait toujours énervé : les grades. Oh, ce n'était rien que de symbolique mais les grades actuels au sein de l'Ordre ne reflétaient pas assez leur vision de la Force à son goût. Ce n'était toutefois pas le bon moment pour en discuter.

Nico lui exposa alors ce qui avait été fait et ce qui serait fait à l'avenir : l'humanitaire, le financier, le recrutement, le développement de lieux d'apprentissage, la reconnaissance à l'échelle galactique. Autant de petites graines pour faire fleurir le jardin de la connaissance. Beaucoup de choses qui constituaient toutefois de sacrés changements pour un Grand Maître qui avait dirigé les éparses lambeaux d'un Ordre rénégat et pourchassé. Son silence et son regard qui semblait fixer le vide furent ses premières réponses à ce que Nico lui annonçait. Toujours en tailleurs, il leva un regard presque ému vers son ami et collègue :

- Ce sont certaines choses que je n'aurais jamais osé faire. Tu permets à cet Ordre de revivre, Aries. J'apprécie cette optique humanitaire qui a été apportée à l'Ordre, c'est sans doute le meilleur moyen de se faire enfin accepter dans cette galaxie. L'éducation est la clé. N'oublions pas que - des années durant - l'Empire a modelé les esprits contre nous à grands coups de propagande. Aujourd'hui, les rebelles peuvent être notre chance...

C'était déjà ce que Tanak avait espéré quand il avait pu rencontrer Bail Organa et eu affaire aux dirigeants de Ryloth après avoir affranchi les esclaves de Nar Shaddaa. C'était bien il y a 15 années et peut-être touchait-il enfin du doigt ce qu'il avait toujours désiré pour les Luxiens.

- Mais n'oublions pas non plus que les jeux politiciens ne s'arrêtent jamais. Si nous allons dans cette direction, il faudra que nous soyions habiles car l'Ordre aura toujours des détracteurs puissants. Pour certains, nous resterons à jamais les assassins de Palpatine. La Force peut tuer quelques individus en quelques instants, la politique des milliards en un mot.

Il jugea que ces paroles seraient suffisantes pour manifester son désaccord. Il ne s'opposerait pas plus durement à cette volonté mais Tanak Leonik avait toujours été un homme de l'ombre, prudence et méfiance lui étaient aussi nécessaires que l'air qu'il respirait. Il estimait crucial de rappeler les risques qu'il leur faudrait être prêt à encourir, même s'il savait que Nico n'était pas un être naïf.

- Cela dit, j'approuve le fait d'ouvrir et de développer de vrais lieux de réunion luxiens. Cela permettra aussi d'attirer plus de sensitifs. En ce qui concerne d'éventuelles recrues, je n'ai pas de noms précis mais il reste certainement au moins quelques survivants de Lehon en quelques lieux de la galaxie. Evidemment, vous avez vu Gahan Dhelef comme je l'ai vu. Les survivants seront probablement marqués par ces années d'exil et plus forcément aptes à faire partie de l'Ordre. Au-delà de cela, il s'agit plus de recruter des jeunes que des noms pour assurer notre pérennité.

La survie de l'Ordre était ce qui lui importait le plus. Tel un animal malade sans petits approchant de la fin de sa fécondité, il ressentait le besoin d'assurer l'avenir. Il n'avait pas envie d'avoir vécu l'exil et le rejet pendant de si longues années si cela n'assurait pas la pérennité de l'Ordre.

- J'aimerais que tu m'en dises plus quant à cette "alliance libre" avec les jedis et à ce vaisseau luxien que tu as évoqués. Et, au sujet de la rotation des personnels, qu'est-ce que cela apporterait concrètement à l'Ordre et à ces individus destinés à passer leur vie dans l'espace ? La sédentarisation n'apporterait-elle pas au contraire plus de sécurité à l'Ordre que le mouvement perpétuel ? Bien entendu, cela n'empêche pas une certaine mobilité des individus mais celle-ci est toute naturelle.

Il avait encore besoin de quelques éclaircissements sur ce que Nico annonçait comme projets. Une alliance avec les jedis lui semblait à la fois étrange au vu de leurs visions de la Force bien différentes et logique au vu de l'histoire de l'Ordre dans la galaxie des Phéonatix dans laquelle – aux dires de l'illustre Grand Maître – les Luxiens faisaient figures de Jedis.

Son attention fut détournée par le sentiment bref mais bien réel que la Force venait d'être troublée à proximité d'eux. Oh, c'était un minuscule remous dans l'océan de la Force mais c'était suffisant pour qu'il le remarqua. Il espérait que Gahan Dhelef ne martyrisait pas trop l'épouse Aries, il était intimement persuadé que cet homme avait un bon fond... Quoique profondément enfoui sous des années de folie.

[Iala Iédastré]

Iala recule, silencieuse. Elle ne quitte pas de vue la silhouette du vieillard qui s’est ramassé sur lui-même. Il pourrait être ridicule, perché sur sa caisse, les genoux sous le menton, son biscuit abandonné à ses pieds. Sa tunique, relevée sur ses genoux, dévoile de maigres jambes déformées par l’age.

- « Pathétique », c’est le mot qui vient à l’esprit de la luxienne. Elle ne parvient pas à éprouver de l’empathie pour Gahan Dhelef et elle se reproche son absence de compassion.
Elle a fait ce qu’elle estimait être son devoir mais rien de plus… Elle a donné au vieillard la possibilité de démêler les vrais souvenirs et ceux que sa schizophrénie a engendrés. Désormais il a pris conscience de ses dérives psychologiques et il possède une extrémité du fil qui le rattache au passé authentique.

- Que fera t-il ? Lâchera t-il ce lien pour retrouver le monde dans lequel il s’est enfermé ou refilera t-il la toile de sa vie ?

Iala se demande soudain si la seconde option n’est pas la pire solution : ajouter d’autres éléments aux souffrances, renoncements et échecs, dont elle n’a vu que des bribes, serait-il supportable pour un vieillard affaibli mentalement ?

Collée le dos à la porte, elle hausse imperceptiblement les épaules. Pour l’heure, elle décide de laisser Gahan Dhelef à ses fantômes : il en fera ce qu’il voudra ou pourra. Elle se retourne et franchit le seuil de la porte qu’elle referme doucement.

Nico et Tanak se font face, assis en tailleur, en position de méditation. Quelques phrases s’échangent, à voix feutrée, et des silences. Des silences que Iala n’ose pas troubler. Elle reste accotée à la porte. Elle pense qu’elle n’a fait que changer de côté de porte : face à Gahan Dhelef et maintenant face aux Grands Maîtres. Vraiment à sa place nulle part ! Dans cette situation où de graves décisions doivent être prises, elle se refuse à influencer celui, qu’en cet instant, elle considère plus comme son maître que comme son mari.

D’un bref sourire, Nico l’invite à les rejoindre. Elle s’assied au sol, près d’eux et prend le temps d’écouter la pensée de Nico qui lui résume la conversation.

- le partage de responsabilités dans l’Ordre luxien vous concerne personnellement, aussi je n’ai pas d’avis à donner. En revanche, les orientations futures nous concernent tous et je vais vous donner mon point de vue.

Iala tente d’organiser ses idées pour s’expliquer le plus concisément possible. Voilà des années que le couple débat de ces sujets sans parvenir à s’accorder totalement.

- « se faire reconnaître » de la République Galactique me semble bien hasardeux. Dans le meilleur des cas, les politiques œuvrent dans l’intérêt de leur monde, au détriment des autres, fatalement. Dans le pire, ce sont leurs ambitions personnelles qui priment et on sait jusqu’où ces ambitions peuvent aller !

La diplomate connait bien ce monde pour lequel elle a été éduquée, même si elle n’a pas pratiqué ses fonctions au-delà des frontière du système de Téta.

- Si nous sommes « reconnus », nous deviendrons, je le crains, un pion que certains essaieront d’utiliser à leur profit. Nous entrerons dans un jeu dangereux, surtout face à l’Empire. Mais c’est surtout nous placer dans un camp.

Iala souligne cette dernière phrase. Elle aborde maintenant la partie la plus contestable par Tanak et Nico. Elle sait que leur vécu ne leur permet pas de partager entièrement son point de vue.

- La Luxia-Corp, par l’intermédiaire de sa filiale Phénix, pratique l’humanitaire dans des mondes impériaux. Elle y trouve aussi des ressources qui lui permettent de vivre. Aujourd’hui cela se passe bien, sous le couvert d’une certaine « discrétion ». Mais demain, être étiquetés « République » va inévitablement poser des problèmes et réduire notre champ d’activités.

Iala marque un temps d’arrêt car Gahan Dhelef pointe son nez derrière la porte entrouverte. Elle poursuit, néanmoins :

- Se faire « connaître » me semble préférable à « reconnaître »… et cela, autant dans les mondes Républicains que dans les autres. Se faire connaître comme une organisation intergalactique neutre, parfaitement neutre, sans laisser aucun pouvoir s’immiscer, d’une quelconque façon, dans les arcanes de notre Ordre, pas plus que de les laisser nous utiliser !

Elle pourrait aller plus loin, parler de ses idées d’écoles pour sensitifs « mineurs » disséminées partout dans la galaxie - encore un moyen de devenir visible - mais elle sait que Nico y est opposé, non sans arguments.

- Les jedis… pourquoi ne pas les contacter, effectivement. Voir si ils ont évolués, si ils deviennent moins autistes, moins sectaires, si ils tirent les leçons de leurs erreurs… oui, pourquoi pas. Mais de là à envisager une collaboration…

Gahan vient de se glisser près d’eux. Iala pense brièvement qu’une douche salvatrice pour son odorat va rapidement s’imposer. Que vient-il chercher ? Du réconfort dans son cheminement mental, des approbations, ou semer la confusion comme il sait si bien le faire ?

- Vous n’avez pas un petit thé bien chaud ?