L'Astre Tyran

[Elysia Astellan]

- - L’éclat d’une étoile - -

Depuis l’arrivée de Nova Astellan sur la planète, était prévu un rendez-vous privé avec le Monarque. Mais le caractère de la représentante du Sur-Secteur Hydien avait forcé Hyon Qsorm à revoir un rien l’organisation de cette belle rencontre qui devait initialement avoir lieu à Adascopolis, dans l’une des plus belles salles d’un restaurant prestigieux. Il estimait désormais, selon ses calculs, que Dame Astellan refuserait catégoriquement de se mêler à nouveau à la foule, et qu’un endroit plus secret serait plus adapté à la rencontre. Il n’eut aucun mal à dégoter un salon luxueux dans les premiers étages de l’hôtel même où était hébergée son invitée de marque. Il prévint également le restaurant de l’établissement qu’un repas pourrait être pris et que le personnel devait se tenir à prêt à tout moment. En outre, il réclama une grande discrétion.

Le salon fut préparé selon ses consignes. Dans le même temps, il recevait la confirmation que le Monarque serait bientôt sur place. Sa Majesté avait néanmoins pris le temps de se changer, mais aucun retard de sa part n’était à prévoir. Aussi, Hyon fila-t-il informer Dame Astellan que Dame Civicius la rencontrerait d’ici une vingtaine de minutes. Et quand Nova fut prête, il la conduit au salon en question.

Au deuxième étage de l’hôtel, les baies vitrées du salon offraient une vue agréable d’un des grands boulevards de Kanti, décoré et illuminé pour le couronnement, et sur les dernières lueurs du coucher du pâle soleil arkanien. La pièce était suffisamment grande pour accueillir deux tables basses entourées chacune d’un canapé d’angle et de quelques fauteuils. Une cheminée toisait l’une d’elle, et c’était celle-là qu’on avait choisi pour installer Dame Astellan et Dame Civicius. Le salon disposait également d’une large alcôve abritant une table et quatre chaises, en cas d’un repas à huis clos. La décoration était somme toute relativement sobre, dans des tons beiges et des formes épurées. Des mets sucrés et salés avaient été disposés sur un plateau de nacre, ainsi qu’un large choix de boissons sur une desserte attenante au bar.

Légèrement en avance, Elizabeth attendait face à Kanti, la neige tombait lentement. Un personnel de l’hôtel annonça l’arrivée de Dame Astellan, la porte s’ouvrit sur Hyon qui s’écarta pour la laisser passer.

Un fin sourire accueillit l'invitée.

[Harlon Astellan]

A moitié saoule, à peine rhabillée, Nova ne put que s'écrouler tête la première sur son lit. L'aube de sa vie lavait désignée comme une fille de bonne famille. Et comme beaucoup de ses homologues, elle avait tourné en fillette capricieuse et incertaine. Elle avait évité le pire - devenir une Marie-couche-toi-là et se retrouver enceinte d'un employé de maison, avec qui elle aurait du fuir dans la Bordure Extérieure pour élever son enfant dans la pauvreté, avec un mari qui aurait abusé d'elle et lui aurait refait une belle dentition à coup de chaise en bois - mais elle avait aussi évité le meilleur.

Son frère Milo, simple StormTrooper. Elle simple secrétaire d'une planète du Nord dont tout le monde se fichait. Mais elle avait du remplacer Harlon. Un Grand Moff... comment voulaient-ils tous qu'elle convienne ? Son nom ne faisait pas d'elle une candidate idéale pour des négociations. La preuve.

Il lui restait peu de temps pour se refaire une beauté, pour faire disparaître quelques milligrammes d'alcool de son sang, et trouver de quoi expliquer sa sortie.

Bien sûr. Expliquer. Expliquer quoi ? Se l'expliquait-elle, elle-même ? Certes non.

Néanmoins, elle choisit de faire un effort. Elle ôta sa robe, fila dans la salle de bain associée à sa chambre trop grande, et déballa tout le nécessaire pour paraître fraîche comme une rosée de printemps, plus que comme un rosé des vidanges de printemps. Sa première action fut de demander au serviteur à la porte un serviteur. Le pauvre sembla complexé, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'elle demandait un serviteur. Une minute après, elle avait à sa disposition une salière. Elle fit ce que Harlon lui avait apprit. Son alcoolique de frère avait une technique pour supprimer quelques effets de l'alcool - du moins l'empêcher d'empirer - quand on oubliait l'examen du lendemain : boire cul-sec un verre d'eau salée.

La pauvre ne se sentit pas fort bien après l'expérience, mais les cases semblaient s'être remises à l'endroit dans sa boîte cranienne.

Elle se lava rapidement, et hésita sur le choix des vêtements. Dos échancré, grand décolleté ? Après une telle bavure, jouer les gourgandines de la noblesse impériale ne paraissait pas être une bonne option. Elle choisit donc une robe au col fermé, affublée d'une surcape cramoisie, de bordures renforcées au fil d'or tressé, se tressa une queue de cheval maintenue par un serpent d'or. Elle souffla dans sa main et porta vite le tout à son nez. L'odeur n'était pas sublime... Elle usa de son verre pour se rincer la bouche, et demanda au serveur à cet effet du sirop de menthe. Une fois l'haleine fraîche, sacrément secouée par son expérience plutôt salée, et habillée comme à une parade militaire de dandis, elle se mit en route, escorté par Hyon, le colosse placide.

Le palais familial n'était pas grand chose comparé à cet établissement, et ce n'était pas peu dire. Le plafond y était plus haut, les décorations plus travaillées, et le cadre plus... décontracté. Elle avait juré durant son enfance qu'elle habitait dans un musée retraçant les époques de l'art minimaliste.

Puis, ce fut à son tour. Le colosse ouvrit les lourds battants de l'ultime séparation entre elle et sa honte de l'instant, sa voix impersonnelle prononçant son nom comme un terminal Holonet quand elle rentrait sa carte d'identité dans la bonne fente, la laissant affronter un regard qui n'existait même pas.

Elle s'attendait à tout, sauf à recevoir un sourire. Elle s'angoissa encore plus de cette preuve non-méritée de... respect ? De remerciement ? Une boule se forma au creux de son estomac. A stresser comme ça, je vais finir par avoir des ulcères.

Elle sourit à son tour, timidement, puis sa bouche se tordit en une petite moue gênée. Pendant un instant, elle ne fut plus du tout la représentante de rien. Juste une petite fille mal dans sa peau qui se trouvait jetée dans un bain rop profond pour elle.

Elle se contenta de baisser les yeux et de joindre les mains devant elle, triturant ses doigts nerveusement.

« J'suis désolée... »

[Elysia Astellan]

Intérieurement, Elizabeth trépignait. L’attente lui semblait bien trop longue et les minutes bien trop lentes à défiler. Elle avait attendu toute la soirée de pouvoir rencontrer un autre Astellan, qui avait tenté de s’échapper, et n’avait plus aucune patience. La hâte de faire la connaissance de la si indépendante Nova Astellan la fit se retourner plusieurs fois avant que la porte ne s’ouvre enfin, véritable soulagement.

Mais l’invitée semblait peinée. Le sourire de l’Arkanienne se fana. Hyon salua et disparut au détour du couloir.


« Bonsoir, Dame Astellan. Je suis ravie de faire votre connaissance. J’ai plusieurs fois entendu parler de votre personne. »

Elle se tut un instant, joignant les mains. Au tour de Elizabeth d’être désolée.


« L’idée que vous ne quittiez Arkania sans même avoir pu vous croiser m’était désagréable. »

Elle prit une courte inspiration.


« J’ai cru comprendre que vous avez été mal accueillie … et je vous prie de bien vouloir m’en excuser. Vous étiez l’invitée de marque de cette réception, mon invitée, et le personnel administratif a fait preuve d’un manque de respect inacceptable. Aussi permettez moi de vous accorder mon entière attention jusqu’à la fin de cette soirée. »

Les deux mains de quatre doigts se séparèrent pour désigner à Nova un lot de fauteuils aux airs confortables.

[Harlon Astellan]

Nova fut totalement perdue. En voyant Elizabeth se figer, et son sourire tomber comme un rideau après le dernier acte d'un grandiose opéra, elle fut presque sur le point de pleurer. D'une part pour la honte inspirée, et d'autre part en se souvenant - trop tard - qu'elle avait complètement oublié de la saluer, de l'appeler par son titre, de la nommer... de quoi provoquer un incident diplomatique qui pourrait coûter très cher à l'Empire, et à son frère.

« Je... merci... Reine Civicius. Je suis moi aussi ravie de vous rencontrer. »

Elle n'allait pas mentir, on ne lui avait que peu parlé d'elle. Elle n'était que secrétaire sur Bescane après tout. Et Harlon était resté discret sur ses liens avec quiconque.

Et elle n'avait pas lu les rapports sur elle comme elle aurait du.

« Euh, je... je... »

Elle n'y comprenait vraiment rien. Elle se sentait complètement déboussolée. Et l'endroit n'était pas pour la rassurer outre mesure.

« Oh, non, non... Je, le conseiller Ajuni s'est éclipsé rapidement, et... enfin, je ne connaissais personne, c'était dur de... enfin... »

Elle se racla la gorge.

« Et puis, il y avait le... les... »

Malaise intégral.

« Les... spiritueux. »

Elle reprit un peu de tenue, souffla un coup bref et montra les paumes de sa main, implorantes.

« Vous... vos équipes... personne n'a fauté si ce n'est moi. Je ne suis pas... enfin, je ne... je... »

Elle étouffa un sanglot et se passa une main sur les yeux.

« Je ne suis pas mon frère... Je ne sais rien... Je ne... Je dois m'asseoir... »

Elle suivit le geste d'Elizabeth et alla prendre place. Puis, comme si une valve avait soudainement explosée sous le coup d'une pression trop immense, elle se mit à débiter à un flot rapide ce qui lui passait par la tête.

« Je veux dire, je sais qu'il aurait du être là, pour vous voir, il aurait su quoi faire, il a été élevé comme ça, formé à ça, et moi aussi mais je ne sais pas, ça ne m'a jamais intéressé, je n'ai fini que secrétaire. C'était... tout était grandiose, avec des gens qui pourraient m'écraser tout autour, je ne sais pas, je n'ai jamais connu ça, et là... mes aïeus, je suis là avec vous, Reine d'Arkania, et je... je ne sais pas pourquoi. Je voulais vous rencontrer, mais j'étais destiné à le faire dans l'ombre de mon frère, comment ais-je pu... que c'est-il passé ? Je n'arrive plus à réfléchir... »

[Elysia Astellan]

Reine accompagna son invitée et s’assit sur le fauteuil en face de celui choisi par l’Humaine. Elle était bouleversée. La situation la mettait visiblement plus que mal à l’aise et elle se sentait obligée de justifier ses agissements. Elizabeth la laissa poliment s’exprimer avant de couper court à toute cette angoisse.


« Nous avons invité le Grand Moff du Sur Secteur Hydien, mais c’est bien votre frère que j’espérais voir aujourd’hui. Je le sais souffrant et il ne pouvait compter sur meilleur émissaire, en l’état actuel des choses, que sa sœur, Nova Astellan. »

Un bref sourire, un peu triste.


« Je suis contente de vous rencontrer ce soir en ces circonstances inhabituelles. »

Elizabeth quitta son siège pour proposer et présenter à Nova la boisson de son choix. Rafraîchissante, sucrée, salée, chaude ou encore alcoolisée, tout était permis.


« Tout ceci ne m’intéressait pas non plus. Et j’ai passé plusieurs années à exercer un métier similaire au votre. Puis j’ai appris l’art politique, dans l’ombre de mon cadet. Mais c’est votre frère qui m’a appris à apprécier cette tâche. »

Elle marqua une pause, le temps de se servir à son tour ce qui ressemblait fort à un simple verre d’eau. Pendant un instant, la Reine demeura perdue dans ses pensées. Elle revint subitement à Nova.


« Ne vous inquiétez pas du rôle que vous pensiez devoir jouer ce soir. »

Un sourire amusé apparut sur les lèvres du Monarque.

[Harlon Astellan]

« Oh. »

La pauvre commençait à ne plus vraiment comprendre. Ou alors si, elle pensait parfaitement la comprendre. Mais ça n'avait aucun sens. Si Elizabeth disait vrai - et Nova avait la certitude que c'était la stricte vérité - alors l'invitation que la monarque d'Arkania avait formulée à l'encontre du Sur-Secteur Hydien n'était en rien un gage de politique ou de proposition diplomatique. C'était personnel !

« Moi aussi... Moi aussi ma Reine, j'ai toujours voulu vous rencontrer. »

Elle lui offrit un sourire un peu crispé, mais moins timide. Elle ne partageait pas la froideur de son frère pour les relations humaines.

« Il m'a... enfin, vous savez... il m'avait tout dit. A propos de la soirée, sur Télos. Enfin, sur la station. Pendant les négociations. Le dîner. »

Une petite pause. Elle déglutit.

« Il... s'en est voulu... de sa première réaction. Il n'a jamais su comment s'excuser. Il... je ne sais pas. Vous l'avez impressionné. Il aurait aimé vous voir ce soir. Il aurait été content pour vous. Et fier. »

Nova ne savait pas vraiment quelle relation Harlon escomptait entreprendre avec Elizabeth, ou inversement. Mais Harlon ressentait quelque chose de plus fort qu'une simple relation amicale, ou protocolaire.

« Vous ? Comme... moi ? Je ne vous imaginais pas autrement que... Reine. Vous... »

Petit rire.

« Vous être très belle en Reine. »

En espérant ne pas paraître moqueuse.

« Mais donc... me voilà, devant vous... toute à vous en fait. Harlon m'a fait un portrait parlé de vous... mais vous voir en vrai, c'est autre chose. »

Une boisson proposée.

« Vous avez une spécialité arkanienne ? »

Petit tour de passe-passe qu'Harlon lui avait apprise. Passer pour une curieuse faisait passer pour quelqu'un d'ouvert aux cultures, sans rajouter le côte faussement expert qui n'échappait à personne. Avec la possibilité de se faire voir comme quelqu'un qui ne travaille pas ses dossiers à fond.

« Et en dehors de la politique ? Vous avez des loisirs ? J'adore cuisiner. Et j'ai deux animaux de compagnie aussi. J'adore les animaux ! Vous aimez les animaux ? »

[Elysia Astellan]

Impressionner le Grand Moff Astellan ? Elizabeth aurait voulu rire, mais de nombreuses incertitudes portaient encore préjudice à ce dîner en orbite de Télos. Des questions demeurées sans réponses, des craintes qui ne se trouveraient peut-être jamais apaisées. Et s’il ne se réveillait pas, alors le doute planerait toujours. À moins que … il lui avait tout dit … Mais Nova ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche pour formuler une demande.

Belle … C’était certainement le pire compliment qui pouvait lui être fait. Il en avait fallu des efforts pour paraitre présentable, belle, parfaite. Combien Stefan avait-il investi pour un tel résultat, Elizabeth l’ignorait, mais la greffe avait excellemment bien pris et jamais elle n’avait eu le plaisir de voir son corps rejeter cet artifice trop lisse et trop satiné. Le luxe de ses robes soustrayait au moins à son regard le sacrilège commis, et la plupart de ses interlocuteurs se concentraient davantage sur les perles d’un bustier tissé d’or que sur le minutieux travail d’un chirurgien plus que renommé. Il était en réalité impossible de discerner le vrai du faux tant l’homme de génie s’était appliqué. C’était cette perfection, l’effacement de toute trace de son passé, qui dérangeait l’Arkanienne et lui donnait des vertiges. Alors oui, en ces termes, Astellan avait de quoi être impressionné. Mais cela n’avait rien de gratifiant.

L’invisible regard se posa tristement sur Nova. Comment blâmer un compliment sincère et innocent.


« Je vous remercie. »

Les réactions de la jeune femme étaient inégales, portées par ses émotions. Ou bien était-ce la perception de la Reine qui était erronée … Nova n’avait pas l’assurance de son frère, elle retrouvait cependant un peu de lui en cette présence hydienne, sans véritablement pouvoir dire ce qui lui évoquait le caractère d’Harlon.

La mine pensive de l’Arkanienne laissa place à un sourire timidement amusé. Quatre doigts se saisirent d’une bouteille de verre finement travaillée au contenu d’un vert émeraude légèrement translucide et pailleté d’argent.


« La Cnidaria est une liqueur de fleurs de toundra. Elle doit son nom à sa couleur qui nous évoque les méduses des lacs salés du nord. »

La Reine choisit deux verres au diamètre étroit et les remplit jusqu’à mi-hauteur.


« Dans sa forme la plus aboutie, cette liqueur pétille comme un champagne. »

Elle revint auprès de Nova et lui présenta son verre. Elles trinquèrent et l’Humaine put faire l’expérience de cette boisson étrangement acidulée, à la fois sucrée et salée, qui rappelait on ne peut mieux les vastes étendues dégarnies du nord de la planète. Les fines bulles prisonnières du liquide légèrement plus visqueux qu’un alcool classique ajoutaient du faste à l’inédit. Malgré sa très basse température de service, la liqueur laissait une agréable sensation de chaleur.

Des loisirs ? Les questions de Nova, et sa bonne humeur communicative, offraient à Elizabeth une occasion de se détendre un peu.


« Je ne sais pas si on peut appeler ça un loisir mais … »

Sa main glissa sur le tulle brodé de la robe, s’arrêta un instant sur la soie d’un bleu profond drapée autour de la taille, puis rejoignit sa consœur. Les huit doigts se nouèrent délicatement.


« … j’ai un faible pour les robes excessives, et je crois que ma collection atteint un stade déraisonnable. »

Une petite moue apparut sur les lèvres de l’Arkanienne qui guettait la réaction de Nova.


« Je ne suis en revanche pas très friande de compagnie animale. »

De compagnie tout court, à dire vrai.


« Mais s’il y en a bien un type que j’admire, ce sont les reptiles. Ils ont, je trouve, un caractère inspirant. Quels animaux avez-vous ?

Harlon m’a parlé de vos dons en cuisine. Je ne sais si la recette était parfaitement appliquée, mais ce dîner sur Télos était digne d’un restaurant réputé. »

[Harlon Astellan]

De son radar spectral, Elizabeth avait une vue privilégiée d'un balcon invisible sur la scène qui se jouait sous ses yeux. Même si sa cordialité de façade cachait une sorte de détestation latente envers le frère prodigue, Nova n'en avait cure en cet instant. Ce qu'avait pu ressentir Elizabeth, de par la projection d'Harlon, Nova la vivait maintenant avec Elizabeth. D'ordinaire calme et réservée, Nova servait une version robotisée d'elle-même. Elle qui, d'ordinaire, préférait la sobriété et la distance, elle se trouvait en une soirée à s'enfuir sous les effets de l'alcool et ensuite à débiter un flot ininterrompu de questions sans intérêt existentiel. Cela faisait-il avancer la science, ou reculer la misère, de demander si la Reine aimait les animaux ? Nova avait, contrairement à son frère, un intérêt réel pour les gens, aimait à converser avec eux, connaître leurs petites idiotacraties. Bref, partager quelque chose, aussi bref et futil fût-ce, avec eux, constituait une sorte de pinnacle de sa vie affective.

Ce qu'Elizabeth n'avait peut-être pas compris, les embruns d'alcool flottant encore dans l'air près de Nova et sa chaleur corporelle étant constamment dans les notes les plus élevées - ce qui était à mettre sur le compte de ce même alcool - c'était que Nova subissait, en cet instant, ce qu'Elizabeth avait affirmé ressentir en la présence d'Harlon.

En présence de sa famille, aucun malaise latent ne subsistait, simplement par la composante familiale. Mais une fois le cadre tombé, il ne restait qu'une petite secrétaire d'un cabinet ministériel du Nord Galactique, sur une planète sans intérêt stratégique ou économique et qui n'éveillait rien chez personne, pour peu que le nom même fût connu.

Remplaçant au pied levé une huile essentielle de l'Empire, elle avait été prise à parti par un conseiller au regard aussi vicieux que vide, avant d'être éconduite par un couple royal qui avait, simplement en l'ignorant, rappelé à quelle place elle appartenait. Et ce n'était certainement pas ici, à partager un dîner "réparatoire" de sa propre bourde face à une Reine, même si elle n'était Reine que d'une contrée quand d'autres en avaient des centaines. Le faste de l'endroit l'effrayait... tout ici respirait l'oppulence arrachée aux éléments, en contraste avec la grandeur vide sur laquelle siégeait Harlon toute l'année. Nova n'appartenait pas à un monde nobiliaire, bien qu'elle en fût issue. Son aspiration profonde consistait en son bureau tranquille, à son travail, avant de rentrer chez elle à 18 heures, et passer une soirée au calme, dans un appartement trop grand pour elle, devant l'HoloVision, un feu de cheminée élégant sur le côté, ses bestioles posées sur ses jambes allongées qu'elle câlinait avec affection.

Non, la Reine ne détendait pas Nova. Elle l'intimidait, et plus vite elle serait partie, mieux elle se sentirait. Une erreur avait été commise, et plutôt qu'une réparation protocolaire, l'exigence royale était ce dîner. A l'intimidation s'était ajouté l'incompréhension.

« Oh, je serais ravie d'y goûter ! Je n'aime pas boire d'ordinaire, mais disons que... enfin, ça... lève quelques inhibitions, hihi... »

Pintade. Si elle avait pu, Nova se serait frappé la tête contre la table, en espérant ne pas tâcher plus encore le nom des Astellan, qui, par son action, avait du en prendre un certain coup dans le milieu nobiliaire. Une fois servie - par la Reine en personne - Nova laissa le breuvage s'aérer un peu, comme on le faisait avec le champagne, en savourant un fait ridicule que, d'ordinaire, elle ne se serait jamais offert... à savoir que, dans la Galaxie, aucune région ne s'appellait "Champagne", et donc qu'aucun breuvage n'aurait pu en porter le nom. Question d'appellation d'origine protégée.

Après le moment de latence, elle porta à ses lèvres sa première gorgée de... Cnigaria ? Cnidarga ? Enfin, la chose... Et fut surprise de d'abord être glacée, puis finalement brûlée. Elle avança la tête, un petit coup de nuque donnant l'idée qu'elle allait régurgiter, avant d'avaler simplement, et s'apprécier le mélange thermique particulier.

« C'est... spécial... très spécial... mais c'est très bon ! J'aime beaucoup. »

Le sucré-salé donnait toujours des goûts spéciaux qu'elle aimait expérimenter aux fourneaux. Mais rien ne permettait de prévoir un tel mélange, surtout aussi brutalement.

« Hihi, si, c'est un loisir ! Si on aime ça, si on aime à y passer des heures, si on aime à admirer le résultat, qu'est-ce donc, si ce n'est un loisir ? Enfiler des robes, retirer des robes... »

Un petit instant de réflexion, une gorgée de l'alcool vert, et son index tapoté sur sa tempe.

« En fait, c'est plutôt récréatif si on y pense... pendant un moment, on est centré que sur soi et son habit, le monde extérieur n'existe plus. Bref, on se fait plaisir ! Et des fois, se faire plaisir sans penser à rien, ça fait du bien, et ça vide la tête.

Si, c'est définitivement un loisir. »

Un petit rire complice. Tuez-moi par pitié. Sentiment renouvelé après la réponse sèche de la Reine.

« Oh. »

Qui n'aimait pas les bêtes, pourtant ordinaires et en offrande d'affection sans contrepartie, ne pouvait pas réellement apprécier la compagnie des pires espèces animales qui existaient. A savoir les espèces consciente.

« Oh, les reptiles ? Oui je comprends, ils ont le... »

Une pause. Gênée. Ils ont le sang froid, se tapissent, et tuent sans distinction ni considération.

« Ils ont... de beaux yeux, je trouve. »

Une légère pause, puis, visage ravi.

« J'ai... c'est spécial... ce sont deux bébés Nexus. »

Une gorgée, puis reprise, factuelle.

« Le zoo local avait du mettre fin aux jours d'une femelle après un pic d'agressivité... et pour cause, elle tentait de protéger des petits. Aucun vétérinaire n'avait rien vu, et personne n'a su quand la fécondation est arrivée. Ils n'avaient plus de place, ni d'autre zoo intéressé, et ils ont entreprit de vouloir... les... »

Autre pause.

« J'ai demandé un service au ministre pour qui je travaille. Il a su les faire adopter, et j'en ai pris deux moi-même, me sentant un peu obligée pour avoir fait traîner cette affaire. Il faut leur faire limer les dents et les ongles et les dresser durement pour effacer leurs instincts primaux, mais après, ils sont très câlins ! Et dévoués. Ils ont 5 mois maintenant, d'ici 3 ans, ils seront tous les deux plus massifs que moi, et leur mâchoire... Breuh ! Aussi large qu'un composteur à ordures. De gros châtons tout mignon, capable de gober un mollet d'Anx d'un coup de dent. »

Une mour de travers, pour exprimer une perspective peu joyeuse. Et un sourire sincère sur le dîner.

« Oh ? Vraiment ? Il n'a jamais cuisiné de sa vie, mais il apprend vite et bien. Il faut dire qu'il a des mains de chirurgien, ça doit aider. Vous avez apprécié, vraiment ? Peut-être un jour vous ferais-je un plat rien que pour vous ! »

Petit rire encore. Une autre gorgée. Nova avait une idée qui la trottait. Quelque chose qui, elle le sentait, s'équivalait à un quitte ou double. Soit un moyen de briser la glace, et commencer à installer un semblant de complicité. Soit, au contraire, un moyen de l'ériger et la figer, probablement à jamais. Mais, sans savoir trop pourquoi, elle se sentait un peu obligée de le demander. Pour elle, pour Elizabeth, et pour son frère.

« Ma Reine, si vous permettez que je pose une question intime... »

Une légère pause. Puis, yeux dans les yeux...

« Avez-vous quelqu'un... dans votre vie ? »

[Elysia Astellan]

On aurait pu avoir l’impression que la discussion prenait une tournure plus légère. Mais l’anxiété de l’Humaine était palpable. Pas besoin d’une génialissime vision infrarouge pour se rendre compte que la pauvre Nova souffrait terriblement de son entretien privé avec le Monarque. Elizabeth n’avait peut-être pas était suffisamment précise quant à la teneur de leur soirée en tête à tête … Il n’y avait pas de rôle à jouer cette fois-ci.

Malgré, ou à cause de, sa gêne, Dame Astellan débitait tout un flot d’informations à partir d’une menue question innocemment posée. Mais ce qui semblait déclencher le plus sincère discours était l’élevage de ces deux horreurs sur pattes et tout en poils. Nova donnait presque l’air d’une niaise. Elle bafouillait parfois, se laissait aller à des ricanements enfantins, son visage se tordait sous le joug de ses émotions, … Elizabeth restait pourtant persuadée que la jeune femme avait un point de vue très lucide sur ce qui était en train de se passer.

À propos du dîner …


« Oui, pour un premier essai, c’était réussi. Je serais ravie de voir le maître en action. »

Puis la mine de Nova se mua en de traits plus sérieux. La Reine l’observait sans mot dire. Encore un énième saut dans l’humeur de son interlocutrice. Mais l’Humaine se fixa enfin et son regard se planta dans les yeux vides de l’Arkanienne. Voilà qui était surprenant.

Quelqu’un … dans sa vie ?

Elizabeth posa machinalement son verre sur la table basse qui les séparait. Un moyen, en quelque sorte, de s’échapper de l’emprise du regard de Nova. Tandis qu’elle tendait la main vers le support, ses yeux suivaient le mouvement. La question ne provoqua pratiquement aucune réflexion. Une seule image se présenta, un visage. Mais cette personne-là avait disparu depuis bien longtemps. Ne restait qu’une image idéale, tel un rêve dont on se souvient à peine, éloignée de la présente réalité.

Le visage d’Elizabeth ne trahissait ni peine ni doute. Son verre posé, elle se redressa pour porter sur Nova un regard vide de sens.


« Non, personne. »

Fort heureusement ? Bien malheureusement ?

Il était à plaindre, celui qui tenterait d’approcher le cœur de la Reine. Un champ de ruines. Deux cadavres.


« Mais inutile de s’apitoyer. »

Le sourire amusé que l’Arkanienne adressa à Nova, et la remarque qui l’accompagnait, n’étaient autre qu’une manière de panser ses propres plaies.


« Il serait de bonne guerre de vous renvoyer la question. Vous m’avez parlé de votre amour pour les Nexus. Qu’en est-il du couple avéré ou potentiel ? »

[Harlon Astellan]

« Quand vous le voudrez ! Si jamais vous passez par Nouane, faites-moi signe ! »

Qu'est-ce qu'elle espérait ? Pas grand chose à dire vrai. Une petite part d'elle pourrait à jamais rêver de voir quelqu'un d'aussi illustre pénétrer chez elle, tout sourire, sans escorte et sans habit d'apparat, une bouteille d'un Champagne Arkanien - de la région éponyme nouvellement créée sur la planète - à la main gauche, brandit en disant "j'ai apporté le Champagne !" avant de s'installer confrotablement dans le canapé en simili devant un feu authentique, à bavasser de tout et de rien, mais surtout d'elles... un peu... comme deux soeurs. Mais l'illusion faisait souvent tristement place à la réalité, et Nova se rappelait soudain qu'une Reine ne serait jamais assez en paix pour apprécier de genre de plaisir intime avec un ami, ou une amie.

Diriger n'était pas une vie.

« Ou par Serenno... mon frère m'avait laissé entendre que je pourrais un jour y déménager pour quitter la planète polluée qui me sert de foyer... un travail dans le privé, avec des heures fixes, et un meilleur salaire, j'avoue que je suis tentée. Et ça me permettrait de me rapprocher de ma famille... »

Un raclement.

« Quand mon frère est mort il y a 7 ans, Harlon et moi en sommes sortis... affectés, et meurtris. On aimait tout deux réellement notre frère aîné, et... je crois qu'il a compris à ce moment-là que, la chose la plus importante, dans la vie, c'était la famille. Et, de façon générale, nos proches. »

Le sujet ne provoquait plus de douleur latente maintenant... Ce qui était arrivé était arrivé. Ils avaient souffert tout deux, et la page était tournée. Mais le sujet avait de quoi casser des oeufs pour certains autres, qui n'avaient peut-être pas eu la chance de se reconstruire.

« Oh... je suis désolée... »

Oups. Oui, Reine devait n'accorder que peu de temps libre pour rencontrer des gens. Pourtant il aurait semblé que... Même pas un mariage politique ? La phrase de rebond sembla donner de quoi oublier ce moment de gêne, avant qu'il ne soit définitivement suspendu dans le temps. Nova voulait répondre, sans avoir articulé la première syllabe ni laissé de quoi imaginer que telle serait son action, que la Reine esquissait un sourire qui tirait un autre sourire, accomapgné d'un froncement de sourcils. Une interrogation amusée. Rien qui ne semble pouvoir alarmer.

Un autre rire, plus ferme et grave que les précédents. Si elle s'était sentie à l'aise à parler de Milo, parler de ses "amours" ne serait pas une tarre...

« Oui, il y a eu plusieurs tentatives... Mais j'ai confiance en l'instinct des animaux... Et Pitre et Cachou n'en ont jamais aimé un seul ! »

Pitre et Cachou. Deux noms adorables pour des bêtes qui l'étaient moins. Puis, un air rêveur...

« Enfin... il y a bien... rho... c'est un scientifique. Il est glaciologue. Il étudie les formations des calottes glaciaires et les compositions des couches stratifiées pour établir une époque de fondation sur des planètes désertiques... il travaille pour une entreprise privée, mais je crois qu'elle effectue des contrats pour le compte impérial... Il a quelques projets un peu partout, mais il ne peut jamais m'en parler... »

Il devait partir bientôt pour une zone dans l'Hydien selon ses dires. Mais sans en préciser plus. Et, avait-il dit, qu'il en avait de "toute façon trop dit".

« C'est drôle, mais il n'est jamais venu sur Arkania. »

Une idée de question à poser... Eurêka !

« D'ailleurs, j'ai eu quelques renseignements avant de venir ici, sur la royauté, votre Clan, tout ça... mais en revanche j'avoue ne rien savoir, ou presque, d'Arkania. Je sais que vous êtes venus d'une autre planète tout d'abord... Votre histoire doit être fascinante... si cela ne vous ennuyait pas, j'aimerais beaucoup en savoir plus ! »