- mar. 20 nov. 2018 13:25
#34251
- Elizabeth s’était attendue à entendre ce genre de questions déplacées. Elle les avait accueilli sans surprise mais cela n’avait pas empêché sa colère de monter. Pourtant, voir Harlon encore plus remonté qu’elle, avait pour effet de l’apaiser. Non, elle n’avait pas été blessée par leur indiscrétion, elle le lui signala silencieusement, d’un hochement de tête.
L’Empereur n’en avait pas terminé avec le Dominion. Il n’était pas compliqué de comprendre le fonctionnement de l’organe politique arkanien, le tout était de garder bien en tête que l’on se fichait pas mal de ce qui se passait dans la Galaxie, et que les bords du monde étaient dessinés par la trajectoire orbitale d’Arkania autour de son étoile. Dès lors qu’on se plaçait à huis clos, cloîtré avec tous ces dégénérés produits d’une méritocratie sur le déclin, on n’avait plus qu’à se laisser guider par son bon sens.
Essani, le plus dangereux. Oui, car puissant. Non, car prévisible, du point de vue d’Elizabeth, Arkanienne, accoutumée à la valse capricieuse des Membres d’Honneur.
- « Il est conservateur, oui.
L’Unité est un écran de fumée qui ne trompe personne. C’était nécessaire, d’un point de vue extérieur, pour donner du crédit à nos échanges avec Yaka. Sinon on aurait hué Arkania pour avoir fait signer Temera sous la contrainte. À l’occasion tu demanderas à la Première Ministre Yaka ce qu’elle pense de tout ça, et elle te répondra que les Yakas Arkaniens sont Arkaniens et ne dépendent pas de Yaka …
L’Unité n’a rien changé pour personne. Il faudrait attendre des décennies pour en voir les effets. Arkania est sous le contrôle du Dominion, sous le contrôle des Arkaniens, qui ont eux-même décidé de voter pour la réforme, tout en sachant qu’ils avaient le contrôle de tous les clans yakas et arkants susceptibles de prendre de l’ampleur.
Et en toute franchise … L’Unité promeut l’égalité entre les Races sur Arkania, mais soyons réalistes un instant, les Yakas et les Arkants sont des optimisations, leur évolution génétique est conditionnée et a été pensée par des Arkaniens. Leur place est prédéfinie, et les excentriques comme Varan ne deviendront majorité que dans des siècles. »
Un drôle de discours pour quelqu’un qui avait appuyé la réforme avec détermination. Un Arkanien restait un Arkanien, tout Elizabeth qu’il put être. Mais tout ceci n’avait rien d’un secret, pire, c’était admis. L’Unité donnait un peu d’espoir pour les rêveurs. Mais il ne fallait pas oublier que les Yakas Arkaniens, bien que hautement intelligents, n’avaient d’existence que sur Arkania, et les Arkants … ne disposaient pas du système immunitaire requis pour aller s’installer ailleurs, et la mise à jour n’était vraisemblablement pas au programme.
Il était évident que les propos, et les termes choisis par la Monarque déclencheraient quelques interrogations pour le moins légitimes. Le rictus un rien nerveux de l’Arkanienne mua en un sourire amusé.
- « C’est ma mère désormais qui dirige le Clan Civicius. Kadmo, mon frère, a eu un accident, il est à l'hôpital. Bien que ce serait pour lui un immense honneur de te rencontrer, je doute qu’il soit en état de recevoir une telle visite. »
C’était dit sans émotion. Son frère ne lui inspirait plus que mépris.
- « Quant à moi, je ne fais plus partie du clan. J’y ai renoncé avec ma prise de fonction. Mon prédécesseur avait fait la même chose, c’est un pré-requis. Il faut remonter quelques années en arrière pour comprendre. Le Monarque ne doit pas avoir d’intérêt au Dominion, et donc pas de clan. Il a malgré tout un grand pouvoir et se doit d’oeuvrer avant tout pour Arkania, indépendamment de la notion de clans. Le Dominion avait insisté pour que le Monarque soit épaulé par des conseillers élus. Un moyen de contrôler un peu l’électron libre qu’est le Monarque. Désormais je n’ai plus que trois conseillers, et je les ai choisi moi-même.
D’un point de vue purement contractuel, la mission du Monarque est à durée déterminée. Quand Arkania aura retrouvé une certaine stabilité économique et politique, et grossièrement quand le reste de la Galaxie aura reconnu son mérite, le poste de Monarque n’aura plus de raison d’être et le Dominion se verra réassigner l’entièreté des missions qui avaient été détachées. C’est en bonne voie, le Dominion songe déjà à cette éventualité. Rien de plus. »
Ça ne l’émeuvait pas plus que cela. La rivalité entre le Monarque et le Dominion existait depuis l’instant où l’on avait décidé qu’il fallait élire un Monarque. Tout un chacun savait que la situation ne durerait pas, mais tous n’étaient pas pour précipiter la réattribution des pleins pouvoirs au Dominion. L’on pouvait trouver confortable de s’occuper de ses petites affaires personnelles en attendant qu’un autre fut chargé de négocier avec quelque empire. Essani, en ce qui le concernait, en avait assez vu des prouesses des Monarques, et de son avis, un retour à la normale s’imposait. Alors chercher de bonnes raisons, dont la mort de Varan ainsi qu’une rumeur bien fondée sur une liaison avec l’Empereur, de renvoyer Elizabeth était devenu l’une de ses priorités.
- « Je ne suis pas contre la réduction du nombre de sièges au Dominion, au contraire. Et d’autant plus qu’Essani ne pourra pas choisir qui siégera. Ne seront représentés que les plus importants. Il n’a pas assez de pouvoir pour changer ça, il n’est pas assez riche, pas assez influent, malgré tout, pour choisir qui ira ou non au Dominion. Tu comprendras donc que tout ceci ne m’inquiète pas. »
Civicius était dans les mieux placés. Et c’était pratiquement tout ce qui comptait pour l’instant.
En entendant les inquiétudes d’Harlon, Elizabeth se mit à rire, de joie, sans moquerie.
- « Mais j’ai le pouvoir arkanien. »
Il n’y avait rien de plus à dire. Monarque, cheffe des armées, Membre d’Honneur du Dominion, signataire du Traité Civicius, instigatrice du Consortium d’Olim, Présidente de GENOME, conjointe d’Harlon Astellan, et future héritière du Clan Civicius, car elle n’en parlait pas, mais elle y comptait bien. La Reine avait parfois l’air un peu paumée, mais elle suivait avec attention tout ce qui se tramait sur Arkania et avait déjà placé ses pions. Désormais, elle attendait.
Prude ?
- « Oui, prude. Disons raisonnable. »
Ça ne l’amusait pas. Une squatteuse ? Elle ouvrit de grands yeux. Bon, finalement, cette promenade en montagne …
- « Non, non, pas l’opéra. »
Elle esquissa un sourire discret.
- « La classe moyenne, ok. »
Je sais faire, pensa t-elle simplement, se gardant bien de l’énoncer à haute voix. Elle en avait été de la classe moyenne. La vie sur Yaka avait tout du modeste, loin des richesses de la famille Civicius.
Un coup d’oeil à l’horloge.
- « Tu penses que deux heures sont suffisantes pour te renseigner et te préparer ? Ça devrait être bon pour moi. Je vais aller m’habiller en conséquence … »
Elle hésita un instant.
- « Veux-tu que nous fassions venir des vêtements pour toi ? Ou préfères-tu que nous nous retrouvions au rendez-vous que tu m’auras donné ? »
Bien que les appartements de la Reine avaient été déplacés, il restait sur place quelques habits, des moins reluisants, qui feraient surement l’affaire pour une telle aventure. Et Elizabeth respecterait à la lettre les instructions données.