« Qu'aimerais-tu écouter ? - Du jazz. Si tu as. » En cet endroit de l'univers spatio-temporel, le Dixieland n'était pas sorti de terre. Les trompettes fatiguées de vieux nègres rieurs, débordant de joie de vivre par l'expression de leur liberté retrouvée dans un rythme sans contrainte n'étaient pas venues s'imposer aux oreilles de l'humanité. Mais après avoir dégusté du Champagne, pouvait-on se refuser un tel déboire ? De passer une musique à rythme, affranchie de tout sauf de son harmonie dédiée. « Sacré sonorisation. Je vais devoir me faire installer la même. » Il se savait menteur sur le sujet. Il n'en ferait rien. Il ne travaillait pas en musique. Il passa vite sur les premiers morceaux, alors qu'Elizabeth lui passait la commande derrière la tête, pianotant tout le temps, tout en devisant sur les nouvelles modes musicales. Des tons mineurs pour les sentiments heureux ? Etait-ce ainsi qu'on nommait la mouvance nouvelle, dites "Pessimiste" ? Les accords mineurs, chaque homme de solfège le savait, se dévouaient aux tons tristes. Le Ré Mineur en tête de gondole. La musique laissait les accords majeurs pour les rires d'enfants. Ça n'intéressait personne. Ça intéressait Harlon.
Au fil du temps, il remarqua que le souffle d'Elizabeth devenait plus saccadé, puis s'allongea sur un rythme plus lent qu'à l'accoutumée. Lui même se surprit à fermer les yeux, appréciant un air lent. Il le reconnut aussitôt. C'était une ré-orchestration en chambre d'écho de l'air de Tornade de la Cathédrale des Vents de Vortex. Une planète froide, où cette bâtisse gigantesque était ouverte à tous les vents, le haut des murs ajouré taillé en biseau faisant siffler les bourrasques selon leur intensité et leur direction... Tiens, c'était une idée. Et si l'air présent se laissait aller, ça ne valait pas l'original. Il sentit d'un coup le poids du divan dans son dos, et la courbature que sa position occasionnait. Impossible de bouger, Elizabeth l'avait capturé, et ne semblait prête de le laisser filer sans rançon. Il manoeuvra du mieux qu'il put et finit par se poser à plat sur le large meuble rembourré. Avec malaise, il sentit qu'un cylindre pointait entre ses jambes, là où Elizabeth avait laissé pendre une jambe. Il tenta de voir que faire, jusqu'à soupirer de soulagement en reconnaissant son sabre-laser. Celui qu'il tenait de son voyage jusqu'ici. Il se trouva bien ici. Il sentait le souffle d'Elizabeth sur lui, lui réchauffant le coup, sa main agrippée à sa ceinture, ses seins fermes posés contre son torse. Il caressa l'envie de faire glisser ses vêtements, profitant de son sommeil pour admirer son premier tableau vivant, mais s'en abstint. Il laissa le tableau à son imagination, et tâcha de s'endormir à son tour. Non sans avoir fait une énième moustache avec les cheveux cendrés de sa belle.
Au matin, il était aussi enfoncé dans les songes qu'elle avait pu l'être. Biologie planétaire oblige, Elizabeth se réveilla avant lui. La tête dans le vide, elle admira sa posture de sommeil : épaules rentrées, poings serrés, jambes arquées. Son corps, dans son inconscient, le préparait à bondir et à tuer, déjà de bon matin. Quand à son tour il émergea, il lui offrit un sourire d'emblée. Il avait couvert le silence matinal de quelques billets doux, se levant prestement, demandant s'il pouvait se laver avant d'y aller. L'Empereur ne déjeunait jamais de bon matin. Sans invitation, il n'allait pas s'imposer. Et il avait déjà fait assez d'écart comme ça. « On se revoit aujourd'hui rapidement. » De toute façon, ils devaient faire leur dernière entrevue aujourd'hui. « Passons à l'ambassade avant l'heure du thé. » Ensuite il repartait. Il lui vola un baiser et une caresse sur la joue. « Je file. Mais pour un temps. » Ses affaires de la veille rassemblées, il posa la Reine sur la table de l'entrée, et fit le chemin d'hier soir en sens inverse. Remontant ses aiguilles à l'envers, il ne fit que quelques pas avant de tomber sur un garde. Le dos raide, les bras ballants, le visage fier, mais les caractéristiques d'un Arkant. Harlon le reconnut. « Oberon, je me trompe ? » Il se trompait. Harlon l'observa un instant, sans gêne, fronçant même sourcils en toute fin. « Bonne journée, Capitaine Oberan. » L'Arkant avait des Arkaniens la fulgurance stoïcienne et l'air gelé qu'il calquait en temps réel sur l'Empereur dans ses meilleurs moments. Mais Harlon avait lu dans ses pupilles, bien visibles cette fois. Les regards pleins ne mentaient jamais. Ceux-là avait hurlé leur vérité. Oberan n'aimait pas Harlon, et ce dernier pensait savoir pourquoi. Toujours disponible. Certainement mauvaise langue sur l'Empereur, sujet aux rumeurs. Peu amène à aborder les impériaux quand il avait fallut coopérer. Gardien exclusif de son sommeil, campant sans fatigue devant sa porte, avec peut-être l'envie d'y gratter ses ongles.
Il le soupçonnait d'être amoureux de sa Monarque. Pauvre garçon.
A son retour, Kanos attendait, casqué, devant l'Ambassade. Pour intimider les passants, il avait passé la cape par-dessus ses épaules. Ils étaient peu, ceux qui avait vu un Garde Rouge dans son armure. Les pectoraux d'un rouge puissant, saillants et roulant sur du collant noir thermoisolant, pour le faire passer pour une musculature ambulante écorchée à vif. Bras croisés, même ainsi, l'Empereur ne pouvait se tromper de personnage. « Vous êtes... - Assez, Kanos. » L'Empereur ne se sentait pas d'humeur. « Votre mission est de me protéger là où mes ennemis m'attendent. Si je suis votre entraînement privé, et si je continue de mettre en pratique mon propre enseignement, c'est pour avoir le droit de me défendre seul, quand je décide de jouir de mon droit à la vie privée. » Mais pourquoi se justifiait-il ? « Hier soir était le dernier soir où l'on en parlait. Est-ce clair ? - Limpide. » Harlon rentra dans l'ambassade. Du moins tenta-t-il. « Vous ne serez jamais un vrai Empereur. »
Colère, mépris, incompréhension, orgueil. Tout se bousculait pour offrir une réponse cinglante à celui qui venait de prononcer ces mots. « Qu'avez-vous dit ? » Kanos, le casque vissé sur son crâne, ne pouvait le voir. La visière noire pointait encore l'horizon de l'Ouest, tandis que l'Empereur lui faisait face au Nord. « Qu'avez-vous osé me dire ? » Ce fut l'instant que choisit le garde de lui offrir son visage. Ce visage, il l'avait déjà étudié. Pour autant, cette balafre ne cessait de l'impressionner. « C'est ainsi que vous vous faites appeler, n'est-ce pas. Vous savez qui d'autre allait, se faisant nommer ainsi ? Palpatine. Delavièl après lui. J'ai affronté la Tornade pour l'Empereur. J'ai vaincu les meilleurs pour Lui. J'ai... » La voix mourut. Harlon savait comment les Gardes étaient autrefois choisis. Pour deux postes, on sommait quatre candidats. En binôme, le sang coulait devant les yeux de leur Empereur. L'ultime preuve de loyauté était d'abandonner ses amitiés... parce que l'Empereur le demandait. « L'Empereur aimait aller sans être vu. L'Empereur avait ses cachettes. L'Empereur avait ses maîtresses. Mais l'Empereur avait ce que vous n'avez pas. »
Kanos pouvait se faire exécuter pour ça. Ce qu'il avait fait à l'instant. Poquer de l'index l'Empereur. « Ce que vous n'avez pas, c'est de la grandeur. Vous vous pavanez. Vous courez une Monarque, et c'est votre droit. Vous appelez ensuite l'ambassade pour prévenir d'un retard. Vous vous assommez de médicaments en pleine nuit pour tenir sur des échasses le lendemain. Vos équipes rient de vous en ce moment dans les locaux techniques. » On disait de Kanos qu'il devait sa balafre à un entraînement qui avait mal tourné. D'autres disaient qu'il avait eu un accident étant petit. D'autres parlaient d'un coup de sabre laser. « Vous me demandez comment j'ose. Vous avez pensé à m'exécuter, je présume. L'Empereur n'exécutait personne. L'Empereur avait une aura. » Il pointa l'ambassade, poquant dans le vide. « Vous n'avez pas d'aura ici. Vous n'êtes Empereur que depuis quelques mois. Ce n'est pas assez pour mériter votre blason. Vous êtes trop fier pour ce titre. » Enfin, il vint où il voulait en venir. « J'ai prêté allégeance à l'Empereur. A l'Empereur Palpatine. Pas à vous. Vous avez volé un titre. Je ne pourrais honorer mon serment que quand vous l'aurez mérité. » Il commençait déjà à s'éloigner. « Plusieurs autres del'Ancienne Garde me suivent. Nous ferons en sorte de ne pas l'ébruiter. Nous reviendrons quand vous serez devenu un Empereur. Quand vous n'aurez pas à exécuter pour être obéi. Quand on ne rira plus de vous pour vos déboires. Quand on aura l'impression que vous ne pouvez porter aucun déboire. Quand vous obéir sera naturel, et non imposé. »
« Cent vingt-sept ? » L'Empereur soupira. « Le public n'en saura rien, les effectifs sont secrets... Mais cent vingt-sept ? Un sur cinq parti avec Kanos... pour aller où ? Faire quoi ? - Certains parlent de devenir mercenaire... » débita machinalement son aide de camp, « Enfin, avant que vous... hmhm... - Avant que quoi ? - Aaaaa...vant que vous ne... satisfaisiez... à leur demande. » Il s'en tirait admirablement. « Devenir un véritable Empereur. Comme si je ne l'étais pas déjà ! » L'aide de camp ne répondit rien. Il se racla la gorge brièvement, baissant les yeux au sol. Fallait-il être idiot pour ne pas comprendre qu'il tentait de forcer la main ? « Dites ce que vous voulez dire, qu'on en finisse... - Et bien, au risque de glisser une lapalissade, mais l'Empire se porte sur les Armées. Sur sa peur et son image. L'Empire c'est l'uniforme, et l'Empereur doit incarner l'uniforme, avant que l'uniforme n'incarne l'Empereur. C'est, je pense, ce qu'il voulait vous dire. Vous avez un titre, mais vous êtes encore, pour beaucoup, un putschiste. Le jour où vous serez le chef évident pour l'Empire, vous verrez revenir vos Gardes. » L'Empereur siffla. Ça n'avait aucun sens. « Et alors, comment gagner la confiance des troupes ? En faisant semblant d'être Palpatine ? - Exactement. »
Mais dans sa méditation sur la grandeur, Harlon se fit annoncer que la Monarque venait. Il était venu à sa rencontre alors. Lui tendant les bras, qu'il lui prenne les mains, et qu'il l'embrasse sur le front. « Monarque, vous vous êtes fait désirer. » Elle aurait pu lui voler un baiser ici. Il ne mentait pas en disant ne pas vouloir se cacher. Il n'avait pas dit s'étaler non plus. « Venez. Bienvenue de nouveau dans l'Empire. » On lui évita l'embarras de la fouille. Peut-être viendrait un jour où Harlon allait la fouiller au corps. Exiger qu'elle tombe la robe, qu'il vérifie qu'elle ne cachait rien entre les jambes. Mais pas avant quelques années. Connaissant un peu le chemin, il la mena vers l'endroit de son dernier passage en océan de lave comme solution cutanée. « Installe-toi, je t'en prie. J'ai fait préparer des infusions... » Sans avoir eu le temps de rapatrier des herbes de Senex, il avait des feuilles naturelles de fermes locales à proposer. « Attend une minute, je vais chercher ça... »