- dim. 6 août 2017 01:31
#29498
- S’autoproclamer pyromane ne vous donnait pas forcément les compétences pour maîtriser explosions et feux. C’était peu ou prou la réflexion que se faisait Hayley alors qu’Althar se débattait contre la réalité, comme un saumon se débat contre le courant d’une rivière :
- - Je me plaisais, Mademoiselle ... ? Je me plaisais, jusqu'à que vous parliez ... Vous vous jouez de moi, n'est-ce pas ? Je suis juste un pauvre Prince avec qui on s'amuse pour passer le temps, parce qu'on a que ça à faire pendant une heure ... Bien sûr, comme tous les autres, comme sur Têta ... Ils se prétendent mes amis mais ils se moquent de moi, je le sais. Je le vois. Je l'ai vu là, avec vous deux. Bien sûr que vous vous moquez, parce que vous êtes plus grandes, parce que vous avez vos petits copains et que je ne suis qu'un enfant. Vous rigolerez bien demain, avec vos petits amis et vos classes kuati face à ce petit gosse venu de loin. Et bien non. je suis un Prince, et je ne veux pas me marier de toute façon. Je suis trop jeune pour ça !
Si il y avait bien quelque chose qui rassemblait les soeurs à cet instant, c’était la réaction qu’elles avaient toutes deux à ces pleurnicheries. Le pauvre petit bout réalisait seulement le piège dans lequel ses parents avait consenti à le mener et voilà qu’il s’en émouvait ? A quoi servait son précepteur si ce n’était le former à cela, à considérer qu'à l’extérieur de son palais béni des dieux et adulé par le regard des hommes, il aurait à se défier des dangers qu’il incombait à sa position ? Qu’il serait la cible des envieux et des méprisables, qui chercheraient toujours à travers lui à s’élever ? Pourquoi ne rien lui dire de tout cela ? Pourquoi ne pas le former au Jeu ? Par idéologie ? Conserver sa candeur était-elle une bonne chose en soi ? L’obliger à se retrouver le dindon d’une farce dont il ne prenait conscience que tardivement lui apportait quoi au juste ? Pourtant, elles avaient toutes deux leurs singularités vis à vis du Prince, ainsi le mépris que Nan’la vouait à cette petite chose n’en sortait que renforcé, quant à Hayley, elle ressentait une pointe de satisfaction sous-jacente dans le fait que l’aiguillon qu’elle incarnait avait piqué assez fort pour déclencher une réaction au Prince. Après tout, n’avait-elle pas joué la carte de la provocation depuis le début rien que pour ça ?
Aucune n’osa prendre la parole, pourtant. Hayley se contentait de lever sa clope, la portant à ses lèvres pour relâcher une fumée légère, parfois par la bouche, parfois par le nez, un léger sourire aux lèvres. Nan’la, elle, se tenait immobile, cherchant une solution pour rétablir la situation qui avait prit une tournure des plus désagréables, à tel point qu’elle en venait à considérer d’utiliser une stratégie assez simple : créer le manque. Elle n’eût toutefois pas le loisir de s’interroger plus sur cela, car il semblait que le silence lourd qui s’était installé aussi durement qu’une chape de plomb, car le précepteur du jeune garçon venait de pénétrer dans la pièce et il fallait reconnaitre qu’il était imposant. Si Hayley avait esquissé un geste pour dissimuler sa cigarette au début, lorsqu’elle fût sûre que seul le chagrien avait passé la porte elle retint son mouvement, continuant à fumer aussi ostensiblement que si la présence du chagrien ne l’avait pas gênée. Il s’était rapproché et tâchait de savoir où se trouvait le Prince :
- - Un Majordome m'a dit vous avoir vu entrer ici. Je commençais à m'inquiéter, où est le Prince ?
Un simple regard des deux soeurs lui indiquait l’emplacement du précieux Prince :
- - Dois-je comprendre que cela ne se passe pas bien ? Jeune fille, votre discrétion est largement discutable, si c'est ce que vous souhaitez vraiment. Donc je vous prierais de me rendre ce cancer ambulant, parce qu'il vous rongera plus qu'autre chose.
Et une main tendue devant Hayley, qui lui signifiait clairement que cette fois-ci, les conneries c’était fini et qu’un peu d’ordre serait le bienvenue dans son comportement. Elle regardait longuement la main sans réagir, aussi le chagrien crût bon d’embrayer :
- - Et non ça ne fait pas cool, ça fait juste puant. Comme cette odeur désagréable. Et quant au Prince, je ne sais pas ce que vous lui avez fait, mais il n'y avait nul besoin de le renvoyer je ne sais où si vous ne vouliez pas le rencontrer. La famille royale sait écouter quand il le faut, il suffisait de s'exprimer. Je vous prierai donc de ne pas vous en prendre à lui, et de vous montrer digne de votre rang et de celui en votre présence. Il reviendra vous parler quand il se sentira prêt. Me suis-je fait comprendre ?
- Vous vous êtes tout à fait bien comprendre.
La peste avait détaché presque chaque syllabe, insistant sur chacune d’entre elle pour les désarticuler tout en lançant un regard plein de défi au précepteur. Alors qu’elle soufflait une dernière fois sa fumée en plein dans la face du chagrien, elle exhibait un léger sourire en coin, écrasant sa cigarette sur le bureau du patriarche. Eh oui ! Il avait eu beau avoir droit à un geste de sympathie de sa part, n’en restait pas moins qu’elle refusait de se faire contrôler, que ce fût par lui ou par un autre. Pas de victoire avec elle, seulement la promesse d’une désobéissance à anticiper, hélas. Visiblement il était impossible d’obtenir quoi que ce soit d’elle, aussi après un dernier regard vers Althar, le chagrien quitta la pièce, les laissant tous les trois à nouveau seuls.
Nan’la, elle, saisit le moment pour essayer de regagner le coeur d’Althar. D’un petit pas, elle s’avança vers le jeune homme, un brin tremblante, n’osant pas le regarder en face alors que le chemin qu’elle faisait vers lui semblait être un véritable chemin de croix. Elle soupira comme si tout les soucis de la galaxie reposaient sur ses épaules, puis finalement elle prit la parole d’une voix où l’on sentait qu’elle était concernée par la gravité de la situation :
- - Mon Prince, je suis tellement désolé d’avoir été une telle déception à vos yeux. J’aimerais que tout recommence sur de nouvelles bases, de bonnes bases, sans le poison que ma soeur a déversé sur tout nos moments.
Elle baissa les yeux au sol, attendant une réponse…
...qui ne vint jamais. Alors elle comprit, elle était grillée, le plan de sa soeur, ce sabotage méthodique avait porté ses fruits et elle avait échoué. C’était donc fini, pour de bon. Elle ressentit une vraie tristesse s’insinuer en elle, pas à cause du Prince, mais à cause de son échec, un échec personnel qui amènerait la déception de son Père. Nan’la R’izzan, pour la première fois depuis des années, se sentit sur le point de craquer. Sa voix troublée par l’émotion troubla de nouveau le silence :
- - Je vous prie de m’excuser, je dois prendre congé.
Elle fit une dernière révérence et claqua la porte derrière elle, avec l’intention de rejoindre sa chambre et de s’effondrer sur son lit, en pleurs. Ce serait la première fois pour elle que le masque tomberait, la première fois qu’elle n’aurait pas réussi à exceller dans les plans que son père avait manigancé pour elle. Elle se sentait las et inutile.
A nouveau un silence s’était installé, pendant lequel Althar semblait hésiter entre la contemplation de la porte qui venait de claquer, ses pieds et de furtifs regards lancés à Hayley qui n’avait pas détaché ses yeux de la porte. Elle assassina le silence à son tour, déclamant sur le ton d’une poésie qu’on récite :
- - ...Et de toutes les armes avec lesquelles tu combats, ton silence est bien le plus violent…
Elle adressa un sourire un peu mystérieux à Althar, qui ne semblait pas comprendre la provenance de sa phrase.
- - Oh, un vieux poème écrit par une écrivaine oubliée.
Elle haussa les épaules d’un air nonchalant, puis sauta du bureau pour se diriger vers le livre qui était resté à terre. D’un geste délicat, elle caressa la couverture pour ensuite le ramasser avec toutes les précautions du monde. Le livre ne semblait pas avoir subi de gros dégâts, sa couverture violette ne présentait aucun défaut si l’on excluait les ravages du temps, sur la couverture l’on pouvait admirer le visage d’un homme à l’air un peu austère mais des traits plutôt noble, le titre n’était composé que d’un unique “X.”. Pendant tout ce temps, le Prince, un peu comme une bête sauvage, s’était rapproché petit à petit. La culpabilité le rongeait-il pour qu’il se sente obligé de se rapprocher de celle qui lui avait fait des misères jusque là ? Savait-il qu’il ne trouverait aucun réconfort concernant Nan’la du côté de sa soeur jumelle ? Elles ne s’entendaient pas, c’était donc hors de propos.
Elle tendit le livre au jeune Prince qui s’en empara, admirant la couverture, quand à elle, elle s’éloigna un peu pour se placer à la lumière du soleil qu’une fenêtre finement ouvragée laissait passer. Elle laissa ses yeux admirer l’extérieur et son attention fût attirée par un oiseau en plein vol, lui arrachant un sourire un peu niais : elle aimait contempler la nature et les quelques traces qu’elle laissait derrière elle, les occasions étaient peu nombreuses à Kuat City aussi elle les savourait à chaque fois.
Elle se retourna vers Althar, pourtant toujours accoudée à la fenêtre, avec un sourire aux lèvres, cette fille semblait prendre la vie avec un éternel sourire gravé sur son visage, c’en était troublant :
- - Et à part éviter de te marier avec des sales pestes kuati, qu’a-tu prévu pour ton avenir ? Qu’est ce que tu aimerais faire ? Ou être ?