L'Astre Tyran

[Harlon Astellan]

Elle semblait destabilisée, mais pas trop. Très surprise, en somme. Harlon devait reconnaître qu'il cherchait exactement cette réaction. Mais elle ne se débinait pas. Elle avait soit un avis sur la question, soit y participerait bien volontiers. Il l'écoute avec attention, parfois hochant la tête, haustère dans son port, avec sa fine barbe poivre et sel, et ses yeux, antres d'une intelligence discrète.

« Oui, je vous pose la question en ce qu'Arkania a un grand passé dans ce domaine, et je me demandais quel était votre point de vue. »

Une bouchée dans son magret, et il répond à la Dame :

« En effet, c'est quelque chose qui, maladroitement manipulé, peut être dangereux et effrayant, tout est question de relativité et tout dépend de l'utilisation faite par celui qui la pratique.

Mais j'ai souvent étudié le cas d'Arkaniens, d'humains, et de bien d'autres qui aimaient à faire des expériences sur le genre commun. Peut-être avez-vous entendu parler d'un Mandalorien du nom de Démagol ? »

Un sacré nom que celui-ci.

« Le cas parfait du scientifique fou. Pendant les premières guerres opposant les mandaloriens aux Jedi, il y a plus de 4000 ans, cet homme a entreprit d'apprendre la Force. »

Une gorgée de vin.

« En disséquant les Jedi. »

Il pose son verre.

« C'est ce que des fous font, mais parfois, des gens font des innovations comme personne n'en fera jamais. Regardez la création typique de votre peuple, les Yakas. Leur intelligence est extrêmement développée, leur force physique également. Mais leur intelligence est-elle seulement comparable à celle de leurs créateurs ? Les Yakas, tout êtres supérieurs qu'ils sont, n'en restent pas moins des créations, des sujets d'étude.

Imaginons-nous simplement quel est le degré de réflexion qui a mené à cette finalité ? Il a bien fallut quelqu'un pour mesurer cette intelligence, la doser, l'implanter, la voire naître artificiellement. Autrement dit, cette avancée physiologique est née non pas directement de son expérimentation, mais de la pensée de son initiateur.

Autrement dit, si quelqu'un imagine, de façon basique et naturelle, une façon de nous rendre plus forts, et plus intelligents... n'est-ce pas un processus, finalement, naturel, d'avancée ? »

[Elysia Astellan]

L’évocation d’épisodes sordides provoqua une grimace révélatrice d’un certain dégoût. La prochaine bouchée, découpée avec minutie, effaça de fait la moue écœurée. L’un mangeait tandis que l’autre parlait.

La mutation génétique des yakas était en effet une belle intervention arkanienne. Les cyborgs, désormais libres de leurs mouvements, avaient été optimisés au point que certains d’entre eux n’étaient plus capables de converser naturellement, si bien que leurs réponses n’étaient que le fruit de programmes tortueux. Avec l’intervention républicaine, il avait bien fallu lever le pied et laisser les yakas vivre comme une race à part entière, libre et indépendante. Il fallait aussi évoquer les mutants …


« Les arkaniens ont toujours cherché à renforcer artificiellement leur code génétique, et à ne sélectionner que les individus les plus « forts ». Le concept de mérite est très présent sur Arkania, il découle de cette constante amélioration génétique. Les maisons les plus puissantes sont souvent issues des familles les plus optimisées.

La race des mutants arkaniens représente un idéal servile de la race arkanienne. Leurs yeux sont accoutumés aux fortes luminosités, ils possèdent cinq doigts, sont généralement plus endurants et plus résistants. Ce sont de bons soldats. Mais durant les dernières décennies, nous avons fait face à une importante levée de boucliers, certainement supportée par une influence républicaine déplacée. Et les nouvelles générations non contrôlées de yakas et de mutants ont pris une indépendance certaine qui échappe totalement au gouvernement. »


Elizabeth n’avait toujours pas répondu à la question du Grand Moff. Elle tenait sa fourchette avec ferveur et, le buste droit, exposa sans détour sa pensée hostile.


« Prenez le cas de l’Assemblée. Artifice politique réservé aux basses extractions et mise en place pour contrebalancer le pouvoir du Dominion. Le tout puissant Dominion où siègent les plus méritants. Ce genre d’inepties est propre au règne de Naghin’Ter qui avait la ferme intention de faire tendre la monarchie vers une démocratie. Le résultat est là : Arkania stagne dans un médiocre état, et les performances génétiques seront perdues pour les générations futures. »

Une nouvelle lamelle de magret se fit embrocher avec un soupir dédaigneux.


« Toute race tend à faire positivement évoluer son code génétique. Si une race est naturellement capable, de par son intelligence, et de par le progrès technologique engendré par cette intelligence, de contrôler et d’accélérer ses mutations, alors cette évolution est naturelle. En effet. Le contrôle de l’évolution fait partie de l’évolution. »

L’arkanienne affichait un air résolu.

[Harlon Astellan]

Harlon ne pouvait décrire son état que par un seul mot : Jubilation. La jeune femme semblait totalement réceptive aux méthodes d'évolution assistée. Une arkanienne comme on n'en faisait plus. Le précédent suzerain avait en effet entreprit une grande réforme sociale, mais certains, dont Elizabeth, semblaient ne pas s'en satisfaire.

C'était là qu'Harlon comptait mettre le nez.

« C'est là le problème des démocraties, le peuple soudain s'exprime... quand un milieu où l'érudition est une rareté se mêle de décisions capitales, la réalité revient d'un coup. Gouverner leur semble un jeu d'enfant, alors que neuf fois sur dix, c'est prendre des décisions que personne ne peut voir, ou sentir. Et alors ils stagnent, voient leur erreur, et empirent la situation. »

Ce que la Nouvelle République ne voulait pas voir. La démocratie était une vraie poudrière, l'ouverture à toutes les dérives de la part d'une assemblée béotienne. Les gouverneurs savaient mieux qu'eux ce qu'ils leur fallait, c'était pourquoi ils étaient en place plutôt que d'autres.

« Fort heureusement, il existe des cercles qui proposent, à qui le souhaitent, et à qui sont éligibles, une alternative à tout système dominant. Avec leurs propres forces privées, des ramifications dans toute la Galaxie, et des solutions au problème de la gouvernance... populaire. »

Il planta sa fourchette dans son magret et s'empara du pichet de vin de table.

« Un peu de vin rouge ? Il vient de plantations viticoles du grand Sud. »

Du Senex-Juvex, très exactement. Une planète entière était couverte de vignerons.

« Faites-vous partie vous-même d'un cercle d'intellectuels et d'érudits, Elizabeth ? Parfois, il convient de rester avec les siens, afin de se détendre et se sentir à nouveau chez soi. »

[Elysia Astellan]

Sans un mot à ce sujet, Elizabeth enserra délicatement le pied de son verre pour signifier qu'elle reprendrait volontiers du vin. Elle observa le liquide rouge couler entre les parois de cristal.


« Je vous remercie. »

L'arkanienne examina un instant la question de son interlocuteur. Non, de toute évidence, elle ne faisait partie d'aucun cercle de ce genre.


« Mon retour sur Arkania est trop récent, les relations de confiance que j'entretiens avec mes semblables sont trop peu nombreuses. »

Confiance et semblables étaient les deux mots clés de la phrase. Tous deux prononcés avec une pointe d'ironie. Elizabeth n'accordait plus sa confiance, rares étaient donc ceux qui avaient encore le privilège d'en profiter. Aussi n'avait elle que très peu d'amis proches. Quant à la famille Civicius ... seul Kadmo faisait mine de porter un peu d'intérêt à sa sœur aînée. La jeune femme évoluait en solitaire et semblait s'en contenter.


« Est-ce votre cas ? »

Quels sont les objectifs à longs termes de ces groupes ?

[Harlon Astellan]

Etrange. Une Dame de bonne famille aurait toujours du être membre d'un quelconque cercle. Ne serait-ce que celui de la famille proche. Mais la relation qu'entretenait la jeune femme avec son frère n'était en rien semblable à celle d'Harlon. Pas même quand il ne s'entendait plus avec son frère Milo. Harlon avait décrit, plus tôt, un état de solitude existentielle qui le tenaillait.

Il avait l'impression de comprendre que si Elizabeth lui avait pardonné cet écart, c'était par identification. Elle devait se sentir seule, elle aussi. En haut d'une montagne.

« C'est... en projet, dirons-nous. »

Il avait depuis un moment l'envie soudaine de fonder une société basée sur la compréhension de la nature humanoïde, inviter les personnes les plus intelligentes de ce temps, et de fonder un club select chargé de promouvoir la domination culturelle au niveau galactique.

« Je disais vrai tout à l'heure. Je me sens seul, souvent... incompris, au milieu de béotiens populaires. Mais je sais également que je ne suis pas le seul. Aussi, j'ai prit contact avec de nombreuses personnes dont le profil me ressemble... Esseulés, pedigree, tout ce qu'il faut pour prétendre à un rôle d'élite.

Nous avons prévu d'un soir, nous rencontrer, et de décider de possiblement faire un bout de chemin tous ensemble. Se réunir, débattre, échanger nos idées, nos savoirs... »

Une pause.

« Et, peut-être... concrétiser nos ambitions, tous ensemble, unis sous une seule bannière sans frontière, avec pour faction, l'Intellect. Avec un grand i. »

Une gorgée de vin.

« Vous êtes une femme intelligente, Elizabeth, et de nombreux érudits restent à rencontrer dans cette vie. Seriez-vous intéressée de faire la connaissance de certains grands penseurs de notre temps à l'une de ces réunions hypothétiques ? »

[Elysia Astellan]

Elizabeth ne se considérait en rien comme quelqu'un de remarquablement intelligent. Elle était ... quelconque. Et menait une vie quelconque, sans ambition politique, et loin des trop grandes responsabilités. La première place était une chose dont elle se passait volontiers. Mais la proposition du Grand Moff attira son attention. Tel qu'elle l'entendait, il s'agissait là d'un regroupement d'intellectuels étouffés par la régression culturelle galactique.

L'arkanienne reposa sa fourchette, elle en avait terminé avec son assiette.


« C'était parfait. »

Se contenta t-elle de commenter.


« Ma décision pourrait bien dépendre de la qualité du dessert que vous me servirez. »

De nombreux obstacles s'opposaient à la participation d'Elizabeth à ce genre de réunions. Son frère représentait sans aucun doute le plus insurmontable. Il l'avait minutieusement attachée à ses fonctions, et il ressentait un besoin viscéral de savoir où elle se trouvait. Il faudrait un jour se débarrasser de ce frère ...


« Si ces penseurs sont aussi remarquables que vous, alors je ferais volontiers leur connaissance. »

[Harlon Astellan]

Oh, le dessert ? Soit elle voulait s'en aller, soit elle n'avait plus faim. En tout les cas, le plat aurait été raté... autant sortir le dessert tout de suite en effet.

« Permettez-moi de débarrasser en ce cas... j'espère que vous ne serez pas déçue du-dit dessert. »

Il se leva doucement, prit doucement l'assiette d'Elizabeth de façon à ne pas lui faire bouger les bras, et la sienne, rapportant un instant après des cerises gelées sous un coulis adapté, le tout avec des mignonettes et une boisson chaude.

« Mon petit doigt m'a dit que c'était votre préférée. »

Un sourire, et il se rassoit, une assiette similaire avec lui. Puis, la réponse qu'il attendait.

« Certains d'entre eux ont entendu parler de vous, et vous trouvent prometteuse et parfaitement adéquate à leur vision des choses. Ils pensent que cette galaxie procède lentement et sûrement à un nivellement vers le bas de la culture et des compétences. »

Quelque chose qui semblait correspondre à la jeune femme. Un regard peiné se pose sur elle.

« Pensez-vous un jour voir une galaxie en paix, avec des dirigeants éclairés ? »

[Elysia Astellan]

Elizabeth esquissa un sourire satisfait à l'arrivée du dessert. Élégamment présentées, les cerises glacées trônaient avec audace sur la table. Les desserts froids étaient en général peu appréciés sur Arkania. On préférait les plats chauds en toute circonstance. Mais l'arkanienne trouva l'expérience intéressante et s'y prêta avec beaucoup de plaisir.


« Vous devriez persister dans cette voie, Harlon. Vous faites un cuisinier de qualité. »

Il avait cuisiné rapidement, et sans doute sans se soucier d'apprendre à véritablement maîtriser son plat, mais le tout était harmonieux et plaisant à la dégustation. Un nouveau sourire sincère vint accompagner ses propos.


« Il n'y a, ce soir, aucune déception. »

Rien, en effet, n'était décevant. Ni l'emportement d'Harlon, ni le menu. Le vin était excellemment choisi et les plats particulièrement délicats. Avant de goûter au dessert, elle leva un regard étonné vers le Grand Moff.


« Qui pourrait penser une telle chose de moi ? Et ... »

Elle parut soudain s'abîmer dans une réflexion fastidieuse, puis émergea, avec une assurance rare.


« Je suis sûre que nous ne verrons jamais cette Galaxie. Je voudrais qu'elle soit unique et unifiée. Que tous ses occupants, inertes ou vivants, soient liés par un but commun : l'équilibre. Mais, Harlon, nous ne la verrons jamais. Cela prendra des centaines d'années. La Galaxie doit d'abord régresser jusqu'à son point le plus bas, pour s'élever à nouveau dans une harmonie totale. Nous ne pouvons que préparer cette nouvelle ascendance qui n'aura lieu que dans des siècles. Et je suis sûre que les sensitifs ont un rôle à jouer dans tout ceci. »

Elle se délecta d'une cuillerée sucrée et planta son regard nacré dans les yeux de l'humain.

[Harlon Astellan]

Un fin sourire faussement innocent acceuillit la remarque de la jeune femme.

« Nous sommes partout, nous sommes nulle part... et disons que nous savons discerner les talents rares qui font défaut à cette galaxie. »

Il n'osa pas craquer la fine couche de gelée de ses propres cerises, laissant la Dame s'offrir la première bouchée. Quand ce fut chose faite, il trempa négligemment sa cuiller dans sa propre coupe, et accueillit d'un hochement de tête le compliment de la jeune femme. Pour une fois, il avait fait quelque chose de simplement sympathique pour quelqu'un, et cela le ravissait. Il avait l'impression d'être quelqu'un de normal, pour une fois. Préparer un dîner pour une Dame, le savourer à deux...

Mais il fallait maintenant retourner au coeur du sujet.

« Oui, préparer la génération qui va venir est la solution la plus viable. Mais, les nôtres semblent avoir trouvé de quoi assurer la pérennité de nos existences... particulières. »

Mais il ne put s'empêcher de reprendre une idée.

« Mais les sensitifs... je partage votre avis sur la question, ils auront un rôle à jouer dans tout ceci.

Par leur disparition. »

Une bouchée, puis il ne laisse que peu de temps, pour qu'il exprime son point de vue jusqu'à son terme.

« Observons les 4.000 années qui nous ont procédées. Traversées par les guerres multiples, toutes entraînées par des gouvernements globaux qu'on peut mettre en parallèle. D'un côté une République basée sur un trop-plein de démocratie, facteur des tensions internes, et de l'autre un Empire, fondé sur les principes d'Ordre et de Sécurité.

Les premiers, pour une raison fugace, se voient comme porteurs de lumière, et les seconds se font affubler du sobriquet d'agents du mal. Au-delà de cette conception bipolaire de la galaxie, on constate quelque chose de frappant. A la tête de chacune de ces factions se situait deux ordres qui ne bougeaient jamais dans le temps et la structure.

L'Ordre Jedi, et l'Ordre Sith. »

Un petit temps cette fois. Et un geste fataliste.

« Toujours les mêmes. Si on les observe de plus près, ils sont toujours au coeur des guerres. Toujours à observer les mêmes règles et le même schéma de contrôle des chaînes de commandement. Durant ces 4.000 dernières années dont je fais mention, il n'y a jamais eu un seul conflit galactique dont ils n'étaient pas les protagonistes principaux.

L'avenir de la galaxie se fera surtout sur la mise à l'écart définitive des sensitifs. L'Empire a prit un tournant cruel et malsain avec les avènements respectifs de Palpatine et Delaviel. Et qui étaient-ils, sinon des Sith ?

Et j'irais même au-delà, qui sont les Sith, sinon des Jedi dont le chemin changeâ du tout au tout ? »

Il oubliait de mentionner son admiration politique pour ces deux individus. Mais il devait avouer, qu'en leur qualité de Sith - ou du moins de sensitif - il les avait toujours haï par principe. Cette haine n'avait rien de personnel, si on exceptait la mort de son frère du fait de Skywalker. Raison pour laquelle son palais était truffé d'Ysalamiris. Pas question qu'un seul de ceux-ci ne le prenne au dépourvu dans sa propre demeure.

« La Force, leur religion si particulière, est la cause de tous les déséquilibres de cette galaxie. C'est un enseignement à proscrire. »

[Elysia Astellan]

Les saveurs du dessert étaient équilibrées et le contraste en température des différents éléments servis ajoutait une dimension culinaire supplémentaire qui n’était pas désagréable. Elizabeth se détourna de sa contemplation gustative lorsqu’elle crut comprendre qu’Harlon ne portait pas les sensitifs en son cœur.


« La Force est une énergie que certains ont su particulièrement bien exploiter. Mais comme toute énergie elle doit pouvoir être maîtrisée. La religion qui a été construite autour de cette énergie importe peu. »

Son regard se posa un instant sur Télos.


« À moins que la superstition ne soit à l’origine du pouvoir des sensitifs sur les populations. »

Elle revint à Harlon.


« Nous observons des cas isolés de sensitifs, de races et de natures différentes. Leur point commun est qu’ils apparaissent comme surnaturels, supérieurs, exceptionnels. Vous proposez de les éradiquer. Pourtant il me semble que leur « don » est un avantage non négligeable que nous ferions mieux de nous approprier. La Force est une question de génétique. Nous devrions pouvoir créer une race supérieure de sensitifs. »

L’arkanienne en était convaincue. Elle ne croyait pas en ces histoires religieuses et en ces légendes absurdes. Elle ne voyait qu’un panel de caractéristiques à combiner pour créer une catégorie d’être vivant en tous points supérieurs aux sensitifs habituellement rencontrés. Elle voyait une société entière fondée sur une compréhension totale d’autrui via la Force. Elizabeth avait eu l’occasion d’observer l’Ordre Gris en action, et elle trouvait qu’ils étaient sur la bonne voie.