La senteur de soufre dominait dans l'air. L'azote fumé par-dessus, et les senteurs évoquaient ce que quelques gens ici avaient encore eu l'occasion de rencontrer, durant des carrières qui se faisaient supplanter par des théories d'université. Ces vétérans, qui composaient encore une bonne moitié des rangs, ils pouvaient dire de tête ce qui s'était tracé un moment auparavant : une odeur de bataille à coups de lasers. Les théoriciens, jeunes diplômés des académies de combats, analysaient sur l'évidence qui restait : les impacts sur les murs, les meubles renversés, les choses cassées, et autres marques ancrées et ostentatoires.
« Groupe A. Sécurisez les premiers étages. » Le lieutenant était de cette race spéciale, plus courante que jamais : jamais un seul théâtre réel pour s'exercer. Résultats d'excellence en simulation. Le sang bleu sous l'uniforme, l'oeil vif sous la visière, l'esprit tourné vers les promotions sous le calot. Ni stupide ni brillant, scolaire jusque dans ses réflexions.
« Groupe B, avec moi jusqu'au bureau de la cible. » Dans son comlink, sorti d'un geste fluide, aérien.
« Groupe C, couverture des fenêtres sur mon passage. » Confirmation.
Quoi d'autre ? Y aller.
Les allées, pleines ou vides de peuple, de petits croupiers, de femmes à hommes en attente d'un bon gagneur pour lui tirer quelques jetons dans les toilettes. Affronter les étages à pied, plutôt que par turboflit, était un supplice mental que le lieutenant ne supporta que le temps de changer de règlement intérieur.
« Faites réactiver ce turboflit. » Assez large pour recevoir le groupe B. Pas assez pour évacuer les gens.
Page 487, petit C... Comlink, dégainé, paré, on tire.
« Demande extraction aérienne depuis le bureau de la cible. » Bien reçu bien reçu. Il créerait la sortie à coup de grenade, des fois qu'il n'y ait pas de balcon. Mais il s'en trouvait d'office un. Les tocards riches voulaient toujours un balcon avec emplacement à speeder privé en haut de leur tour d'imbécile avec plus d'argent que de bon sens.
La poussée vers le haut ne retourna l'estomac de personne. Le groupe B se déploya en ordre, impeccable. Ils n'étaient pas tout en haut à proprement parler.
Ca ne fait rien. La baie vitrée demanderait bien un trou. Enfin, non...
Page 325, petit D, sur les destructions urbaines inutiles... très mauvais pour les carrières naissantes.
« Evacuation depuis le toit. » D'un geste des doigts, il fit scinder le groupe B et groupes B1 et B2, B1 allant sécuriser le toit et la sortie du turboflit. B2 allait réceptionner le colis. Il nota les présences sur place, s'enorgueillit de comprendre qui ils étaient sans avoir appris le résumé de la mission, et comment il devait les traiter pour la suite. Il se sentait déjà professionnel dans ce qu'il allait dire. Son uniforme blanc cassé trancha avec l'ambiance pourpre et carmine de la débauche décorative ambiante, mais il tint compte de ne pas en tenir compte. Il était à sa place ici. C'était le décors qui avait tort. Il renifla et se gratta le nez distraitement.
« Agente Illusive ? » Le lieutenant fouilla la pièce du regard. Il constatait. Il regarda Sareth au détour d'un mouvement de tête théâtral.
« Et Sareth Daran, chasseur de primes. » Il fixa le plafond un court instant. Pointa le dessus de son épaule, comme pour évoquer le passé de ceux qui l'avaient précédé, et avaient tiré par le col cette tâche mouvante qui s'égosillait en "Laissez-moi partir" et autres borborygmes à base de crédits, d'élite et de... En fait il n'écoutait pas vraiment.
« Ce sont beaucoup de cadavres que vous laissez à nettoyer. » Moue en coin.
« Et à justifier. » Les manuels évoquaient aussi des perles de sagesse à destination des officiers du Bureau.
A se tatouer dans le creux du bras disaient les vétérans. Mais à ne pas prendre au sens littéral : un fayot s'y était tenté. Il avait fini par abandonner devant les quolibets incessants. Mais ces perles restaient à graver dans son hémisphère gauche :
Un cadavre ne parle pas, ne dénonce pas, et n'a plus peur de rien. Si le Bureau avait pu torturer les fantômes, depuis belle lurette, la Rébellion aurait été écrasée.
« Bravo pour l'acquisition de la cible. » Un geste des doigts. Deux casqués suivirent la piste, pour aller à leur tour prendre les épaules du chagrien tout chagrin. Le taureau prit par les cornes, mené dans le turboflit, toujours en rage contre le monde, ses ravisseurs, et invoquant sa fortune comme bouclier contre les mille et unes gracieusetés qui mûrissaient dans les têtes de ses nouvelles nourrices. Le lieutenant resta encore un peu avec les deux troupes d'élite, qu'on avait visiblement entendu depuis la rue en contrebas.
« Vos émules n'ont pas ravi vos supérieurs. » "Vos supérieurs", disqualifiant Sareth ? Pas vraiment. Dans son cas, préciser "vos intermédiaires spécialistes en relation-clients" aurait été d'une plus grande justesse. Mais qui avait le temps pour ces phrases pleines de miel ?
« Venez avec nous. Nous vous raccompagnons au QG. » Prendre le prochain turboflit. En attendant, subir une petite inspection : appareil de détection des micros, mais surtout, des appareils à géolocalisation. Le QG n'était pas secret pour rien... ni sans rien. Le Mando était le plus risqué.
« Il va falloir nous donner tout l'équipement géolocalisé, géolocalisable et géolocalisant que vous possédez. » Les deux.
« Ca marche aussi pour vous, agente. » Un jour, peut-être, serait-elle libérée du fardeau d'avoir à préserver le secret du QG. En n'y revenant plus... ou en y travaillant au grand jour. Réjouissons-nous, dans ce genre d'endroit, vaut mieux être celui qui tient le bistouri que d'être celui qui attend qu'on vienne le cajoler.
Le voyage, encore, dura une petite heure. Sareth, en tout Mando-pilote-machin qui se respectait, pouvait deviner le calcul derrière un si long trajet : le vaisseau avait décrit des boucles, certainement inutiles. Brouiller les passagers, et les poursuivants : procédure vieille mais efficace.
« Bilan humain à 12 morts, et on continue d'en dénicher. » "Bilan humain". Pas facile d'avancer cette formule dans une peuplade aussi alien qu'humaine. Mais quel impérial s'en souciait réellement ?
« La cible a été saisie, ses comptes aussi. Il ne faudra pas longtemps pour qu'il nous donne ses contacts. » Le chef débriefait les deux agents en même temps. Mi-figue mi-raisin, à juger encore de l'issue de cet entretien. Il était adossé au fond de sa chaise en plastoïde transparent, à feuilleter quelques flimsis agrafés, balayant les feuillets un à un, et lisant quelques notes mises au crayon par l'officier junior chargé d'aller cueillir les fruits mûrs.
« Le plus dommageable est la mort d'un de ses hommes de confiance. » Il montra un holo-cliché de l'homme en question.
« Ses liens dans le milieu étaient de son ressort privilégié. Tiango ne connaissait pas ses fréquentations. C'est une piste qui va refroidir sans qu'on puisse rien y faire. » Il jeta le dossier sur la table.
« Sans parler du chaos qui a paniqué les gens aux premiers niveaux. Des tas d'appels d'urgence, et des accès de démence populaire. Il a fallut un peloton anti-émeute pour pacifier la zone autour du grabuge. » Pacifier. On avait compris.
« Mais, du point de vue des objectifs fixés, la mission est réussie. » Il s'avança sur sa chaise et prit une voix plus forte, à destination de la porte.
« Faites entrer. » Deux opérateurs entrèrent, un coffret similaire au premier que Sareth avait vu.
« Au vu du chaos provoqué par votre manque de discrétion, votre rémunération ne sera que d'un seul lingot de 5 kilos de Beskar. Et c'est encore généreux. » En effet.
« Prenez-le, ensuite je vous demanderai de quitter la pièce. Mais restez dans le couloir. »
« Illusive, vous avez aussi droit à votre récompense. » Sous la table en verre brouillé, on devinait des tâches grises et blanches du côté de l'officier mystère. Un tiroir apparut, et les tâches se déplacèrent dans un champ de vision "en clair" pour Illusive. Il disposa sur la table un papier. Tamponné, en-tête du Bureau, photo d'Illusive, nom, prénom, etc.
« Voici votre ordre de réhabilitation. Amnistie de vos crimes précédents. Vous repartez avec une nationalité complète, et ceci comme sauf-conduit. » Il tira ensuite un deuxième objet. Une plaque gris clair, avec, au centre, un rectangle gris foncé. Un insigne.
« Le grade d'Agent du Bureau. » Il disposa bien chacun de part et d'autre devant Illusive. Un visage neutre, dénué de toute émotion.
« Il faut en choisir un des deux. »