Enceinte sacrée,
La veille au soir
Après sa brève entrevue avec son apprenti, le Sensei était retourné dans ses appartements. "Un endroit rustique" avait-il demandé. Il se retrouvait avec une chambre à lit double, salle de bain privative et penderie pour un total de 30 mètres carré. "Rustique". Rustique signifiait une planche en bois dans une écurie. Un endroit où l'humain n'irait jamais de plein gré ni même par hasard. Et bien qu'il eut enclenché l'hologramme flottant "Occupé" sur sa porte, les droîdes ménagers ne se dérangeaient pas pour immerger dans sa chambre quand il se trouvait en pleine méditation.
Mais à la troisième carcasse en pièces détachées, le staff avait condamné sa chambre, lui signifiant qu'aucun service ne lui serait accordé.
Parfait. Il pouvait rester à jeûn deux jours durant.
Et après avoir basculé son lit sur le côté, il avait enfin un endroit spacieux et suffisamment vide pour faire le point. Assis en tailleur, tête inclinée, respiration lente. Yeux fermés.
Inspire.
Expire.
Inspire...
Focalise.
Visualise.
Expire.
Aurais-je peur ?Une question qui revenait plus souvent qu'il n'aurait aimé le reconnaître. Emsar lui-même le voyait comme un être absent de tout sentiment, une machine programmée à faire des arts martiaux. Rien n'était plus faux. Depuis qu'il avait échoué sur Yinchorr, là, au milieu de natifs bienveillants et puissants, il avait eu peur. La peur au ventre en permanence, une boule incandescente qui le poussait vers un seul objectif : tuer ses doutes. Il avait la force de percer une cage thoracique et une colonne vertébrale d'un seul coup de poing. Mais jamais il ne frappait la chair. Ni les os, ni les hommes. Il voyait une image fugace de ses vieux démons derrière un être qui lui voulait du mal. Une fumée noire souriante le défiant d'accomplir l'impossible.
Tu as échoué vieil homme.
Comment peux-tu prétendre valoir quelque chose ?
Tu n'es pas né Maître d'Arme. On t'y a conduits par pitié. Tu es un être à plaindre.
Un être inachevé. Un brouillon, une oeuvre avortée.
Tu n'es RIEN.Et un seul postulat : frapper. Tuer ce doute. Tuer cette ombre. Traverser un homme pour l'atteindre. Prendre cette ombre, lui tordre le cou. Regarder un rictus de surprise et de douleur dans ses yeux. Voir triompher son mérite. Il ne tuait pas.
Il se contentait simplement de faire fi des obstacles.
Fffffouuuuu...
Inspire...Arène "le Défi",
Maintenant
... Expire.Mené là sans trop qu'il ne se souvienne comment. Est-il venu par le sous-sol sur un monte-charge ? Droppé par un transport de troupes ? A-t-il sauté des gradins dans une démonstration de populisme de bas-étage ?
Une jungle se dresse là. Ce n'est pas un décor importé : c'est Kashyyk. Dans sa zone la plus sauvage. On n'y entend pas les bruits du public dans les gradins. Trop éloignés. Et des capteurs doivent filtrer les fréquences pour immerger les combattants plus profondément encore. Il entend des sifflements, des oiseaux exotiques, des crissements.
Je suis à la maison. La nature sauvage qui sommeille en lui semble se complaire ici. Il est sur un terrain qu'il n'a jamais vu. Mais il le connait mieux que quiconque.
Aussi décide-t-il d'adopter une stratégie tout aussi exotique que cet endroit. Il avance de quelques pas, et s'arrête. Se met en tailleur. Ferme les yeux. Inspire... Expire.
Et il attend, là.
Je te vois. Son adversaire s'approche. Le Sensei ouvre un léger oeil. Pas de colère. Pas de haine. Pas de douleur anticipée.
Juste un monde de doutes et une peur latente de ce qu'il pourrait ne pas être pour de vrai.
Abandonne tes attaches terrestres.
Sombre dans le néant.
Soit libre et devient vent.