Quelques pleurs étouffés contre des paroles qui se veulent réconfortantes, des chuchotements qui respirent l'anxiété, voilà à quoi en était réduite l'assemblée qui se tenait derrière l'anzat, dans la large salle qui servait de réfectoire il y avait encore quelques heures. Haya ne voyait en elle qu'un troupeau de pensants soumis à ses peurs. Point de pitié dans son regard, ni d'avantage de mépris, juste une haine croissante que lui inspirait leur attitude. L'absence de réaction de leur part l'irritait, et elle sentait monter en elle une colère qu'il lui faudrait extérioriser à un moment ou un autre. Elle savait pourquoi elle était le prédateur, et ils étaient la proie.
Le garde qui s'était installé à la porte écoutait avec attention les interventions de ses camarades, qui tentaient vainement de faire face à l'ennemi. Accroupi juste derrière le montant gauche de la porte qu'il croyait protéger, il braquait nerveusement son blaster vers le bout d'un couloir vide. Son visage se dégradait au fil des messages. L'oreille tendue, Haya captait quelques mots clés qui résumaient bien la supériorité des assaillants.
Enfin elle reçu le signal qu'elle attendait, sans le savoir réellement.
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Ici votre nouveau commandant, nous avons pris le contrôle du vaisseau. Je vous ordonne de vous rendre au sas principal du cargo, inutile de résister sinon vous serez tué."
Le déclic se fit en elle, elle savait où trouver la personne qu'elle cherchait, ne lui restait qu'à la rejoindre avant que les pirates ne décident de se replier après leur pillage. Elle s'approcha du garde, qui se tourna vers elle.
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- Merci de rester à votre place. La situation est sous contrôle dans ce secteur, vous êtes en sécurité ici.", probablement aurait-il voulu afficher une attitude plus autoritaire et sereine, en donnant d'avantage de voix, mais la foi n'y était pas.
L'Anzat lui saisi vivement le bras avec le quel il tenait son comlink, le lui paralysant. Les yeux dans les yeux, elle attendit une seconde de plus que la paralysie gagne totalement le garde, avant de lui prendre son arme et de lui en glisser le canon entre le col rond de son uniforme vert et noir, et la jugulaire de son casque.
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- Voilà un point de vue qui me parait bien optimiste.", elle pressa la détente avant de lâcher sa victime qui, libérée de sa paralysie, s'effondra. Haya s'accroupi auprès du corps et prit le comlink encore serré dans les doigts crispés de l'homme. Elle fit de même avec son arme.
Derrière elle, un silence de plomb s'était fait.
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- Mais tu es folle !", avait fini pas s'exclamer sa collègue infirmière en agitant les bras. "Il est avec nous !"
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- Rectification, il ETAIT avec VOUS.", corrigea Haya, en insistant autant sur le fait que c'était du passer, que sur celui qu'elle ne se considérait pas comme faisant partie du troupeau. "
D'ailleurs, pour te remercier de toutes la patience dont tu as fait preuve ces derniers jours avec moi...", Haya pointa son arme sur la femme en blanc, avant de l'abattre de deux tirs dans la poitrine."
... Je t'épargne la triste fin qui attend tes protégés."
Sans plus attendre elle referma la porte, en gardant un œil sur les réfugiés qui venaient d'assister à la scène. Aucun ne semblait prêt à prendre l'initiative. C'en était aussi attendu que décevant.
A vol d'oiseau, la passerelle n'était pas bien éloignée de sa position. Toutefois, il lui faudrait traverser plusieurs ponts avant de se retrouver au niveau voulu, et cela impliquait quelques détours, d'autant qu'il y avait fort à parier que les sas s'étaient mis en sécurité et n'étaient plus utilisables. Et puis il lui faudrait aussi passer la ligne de front, idéalement le plus discrètement possible. Au final tout un programme pour une si brève excursion en solo.
Prestement, l'Arcaniste commença sa progression. Elle avançait d'un pas rapide vers son objectif, tous ses sens en éveil. Ses cheveux battaient sur ses épaules et son dos, le son de ses chaussures plates était seulement accompagné du froissement de sa blouse. Telle un missile verrouillé sur sa cible, elle avait en tête son parcours : atteindre un élévateur situé deux coursives plus loin, monter de deux étages, probablement par l'échelle de service, emprunter le couloir de maintenance qui longeait une bonne partie de la coque par la droite et qui devait l'amener à une grosse vingtaine de mètres de la passerelle. A partir de là, elle n'aurait plus le choix que de tenter une approche frontale en espérant que tout se passe au mieux.
Mais la désillusion fut rapide. Au second carrefour, l'Anzat entendait déjà tirs et explosions beaucoup plus proches que ce qu'elle avait escompté. La situation était vraiment beaucoup moins bien engagée que ce qu'elle avait cru comprendre. Tout juste eu-t-elle le temps de passer devant une paire d'hommes en vert à une intersection, qu'apparaissaient à l'autre extrémité de leur couloir plusieurs individus menant une charge effrénée, toutes armes dehors.
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- Pas par là !", lui cria un des hommes en enjoignant d'un geste la jeune femme à faire demi-tour. "Ils sont juste derrière nous !", une volée de tirs lui passa à quelques centimètres du visage, le poussant, s'il était nécessaire, à poursuivre son replis avec ses camarades d'infortune.
Haya continua sur sa trajectoire, misant sur le fait que les pirates préfèreraient éliminer en priorité les menaces évidentes, avant de procéder à un ratissage en bon ordre du navire. Pari perdu, le son des bottes résonnait derrière elle, promesse d'une course poursuite qui ruinait ses espoirs d'une progression en toute discrétion.
Impossible dans ses conditions de poursuivre son plan initial, il lui fallait trouver rapidement une solution de rechange. Les cris derrière elle se faisaient plus pressants, lorsqu'elle se décida à bifurquer en direction des cuisines. Loin de ce que l'on pouvait trouver dans la restauration gastronomique, il s'agissait avant tout d'une large pièce équipées de multiples ilots, organisés dans un vaste espace ouvert subdivisé par des demi-cloisons, et traversé par des tapis roulant qui transportaient nourriture et plateaux, à destination des quelques droïdes qui se chargeaient de la confection des repas ou du nettoyage.
Les plafonniers s'illuminèrent les uns après les autres dans une successions de bruits électriques lorsqu'elle y fit son entrée. Les occupants robotiques avaient abandonnés leurs postes de travail pour attendre silencieusement dans leurs alcôves de pouvoir reprendre leur activité. La machinerie aussi était à l'arrêt, et les plans de travail étaient pour la plus part encore encombrés d'ustensiles divers. Malgré sa taille, l'espace en était optimisé, la largeur des allées étant calculée sur les besoins de déplacement des droïdes, qui seuls devaient y circuler. Au premier abord, cela ressemblait à une sorte de labyrinthe à ciel ouvert. Un endroit idéal pour se cacher, ce que ne manqua pas de faire l'Anzat.
La porte se rouvrit quelques secondes après que Haya se soit engagée dans une étroite allée.
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- T'es coincée ! Sors de ta planque !", avait lancé un des aliens du groupe qui l'avait prise en chasse. Dans le même temps, il fit signe à deux des ses comparses de passer par la droite et la gauche, pour logiquement tenter un encerclement.
La manœuvre n'avait pas échappé à l'Arcaniste. Elle s'était largement ouverte à la Force et percevait avec intensité ce qui l'entourait, au point que la pièce même se révélait à elle comme un tout dont elle faisait partie. Loin de lui ôter ses moyens et de la rendre aussi passive que les réfugiés qu'elle avait quittée quelques minutes plus tôt, la situation agissait comme un catalyseur, lui permettant d'aller plus loin dans la Force pour y puiser les ressources dont elle avait besoin.
Le décompte des ennemis avait été vite fait : deux humains, un ubese dont le casque et la tenue ne révélaient rien de plus que sa morphologie de bipède, une rattataki, sans un cheveu et à la peau aussi blanche que ses tatouages tribaux étaient sombres, et le chef de la bande, un chistori au solide physique reptilien. Leurs équipements étaient tout ce que l'on pouvait attendre de pirates, faits d'armes rustiques mais efficaces et protections diverses mais dépareillées aux ornements improbables, comme le col en fourrure de l'un des humains.
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- Je suis ici pour rencontrer votre chef !", avait rétorqué Haya d'une voix sure.
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- Dans ce cas pourquoi se cacher ?", avait interrogé le reptilien de sa voix sifflante.
Si le ton s'était voulu rassurant, sa gestuelle indiquait clairement le contraire, incitant ses hommes à continuer de contourner les ilots, tandis que l'humain au col en fourrure se trouvait affecté à la surveillance de la seule issue, qu'il verrouilla sans attendre.
Haya se redressa alors qu'elle savait ne pas être directement dans la ligne de mire de ses poursuivants.
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- Discutons..", commença-t-elle, avant d'immédiatement se rabaisser en percevant le mouvement de ses interlocuteurs. La rattataki tenta un tir qui s'échoua loin derrière l'Anzat. Un des droïde émis un sifflement désapprobateur alors que le trait bleuté était passé trop près de lui.
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- Comme vous voudrez.", se contenta de lancer l'Arcaniste, "
Rappelez vous seulement que quoi qu'il arrive dans les minutes à venir, tout ce qui m'intéresse, c'est rencontrer votre chef."
La suite avait été aussi violente que douloureuse. L'arcaniste avait largement profité de ses avantages naturels, tout comme de la perception accrue que la Force lui offrait, pour prendre l'ascendant sur ses adversaires. Elle n'avait pas cherché à les tuer, ils restaient le meilleur moyen qu'elle avait de passer sur le vaisseau pirate, mais juste à les estropier assez pour qu'ils comprennent qu'elle menait le jeu, et qu'ils n'avaient d'autre choix que de s'y résoudre.
Alors, aussi silencieuse que vicieuse, elle avait mené ses embuscades, avec plus ou moins de succès, tandis que ses poursuivants étaient répartis dans la vaste cuisine. Face à cette stratégie de harcèlement, les pirates avaient rapidement changés de tactique. Ils avaient tentés de se regrouper pour lui faire face. Il manquait déjà plusieurs doigts à l'humain qui la traquait après qu'il se soit pris un méchant coup de hachoir. L'ubese avançait en clopinant avec un mollet sévèrement ouvert, et la rattataki avait perdu une oreille et saignait abondamment du nez. Le reptilien s'en sortait encore le mieux grâce à sa résistance naturelle. Haya ne s'était pas encore approchée du second humain, resté à garder la porte.
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- Appel des renforts !", avait fini par ordonner le chef à l'intention du pirate resté en arrière.
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- Bonne idée, comme ça je n'aurai aucune raison de vous garder en vie.", avait répondu Haya du tac au tac.
La seconde d'après un tir atteignait l'humain déjà blessé en pleine tête. Son casque ouvert ne le protégea que trop partiellement : il s'effondra en entrainant dans sa chute plusieurs ustensiles qui le suivirent avec fracas. Quelques sons improbables se firent encore entendre, mélange de gargouillis et de mots déformés par la douleur, avant qu'ils ne se taisent à jamais. Elle ne voulait laisser aux pirates qu'une seule option : se rendre. Mais le chistori ne l'entendait pas ainsi : impossible pour lui d'accepter qu'une humaine se paye sa tête.
Plus la tension montait chez les pirates, et plus Haya se sentait à son aise. Incapables de se décider, chacun partait à nouveau de son côté, à la grande joie de l'anzat qui allait pouvoir continuer son jeu de destruction. Bondissant de derrière un meuble telle un funeste destin, elle portait ici un coup de couteau, là un tir dans la jambe, ou un coup de crosse dans le dos. Elle n'épargnait rien à ses adversaires, et pourtant leur chef s'obstinait à vouloir sortir victorieux de cet infernal balais, vociférant contre ses deux autres camarades d'infortune.
Quelques instants plus tard, ce fut au tour de l'ubese de lâcher son dernier soupir dans un long râle d'agonie, tandis que la rattataki, une clavicule brisée et un genou en moins, rampait tant bien que mal vers la porte, en laissant derrière elle une large trainée de sang. Gémissant et soufflant tel un bantha, elle gaspillait ce qui lui restait de vie pour tenter de quitter un combat qu'elle savait désormais perdu.
Et le chef préféra suivre son ultime homme de main, qui avait finit par lever les mains, signifiant à l'Arcaniste qu'il se rendait.
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- C'est bon, vous êtes la plus forte, on a compris.", articula le chef avec grande difficulté, la faute à une méchante blessure à la mâchoire. Il rejoignit son seul acolyte encore debout, et ils déposèrent tout deux leurs armes aux pieds de l'Anzat.
Mais cela n'était plus suffisant pour l'Arcaniste, elle voulait plus qu'un constat de leur part ou une simple soumission. Elle brulait d'envie de voir souffrir d'avantage encore le chistori qui lui avait tenu tête. Et elle n'eut guère besoin de réfléchir longtemps avant de trouver une issue qu'elle jugea acceptable.
La lourde porte isolée se referma derrière le reptilien qui était entré dans la salle avec réticence. Son collègue obtempéra lorsque l'anzat lui indiqua les goupilles qui se balançaient en cliquetant au bout de leurs chaînettes. La chambre froide, voilà un lieu qui convenait parfaitement à la créature au sang froid qu'était le chistori. Derrière le hublot partiellement givré, celui-ci regardait la jeune femme de ses yeux noir et inexpressifs. Peut-être que, repoussé dans ces derniers retranchements, il saurait briser ses chaînes et utiliser la douleur et la colère pour se sortir de ce mauvais pas, et se prouver qu'il valait mieux que ses petits soldats. Mais cela, il devait le découvrir par lui-même. Telle était l'épreuve choisie par l'Arcaniste.
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- Auras-tu l'intelligence de te soumettre pour me conduire à votre chef, ou le courage de finir en martyre inconnu ?", la question était à destination du dernier pirate encore debout. Haya ne l'avait pas regardé, comme s'il ne représentait rien pour elle, se contentant de profiter des derniers instants du reptilien.
Elle quitterait les cuisines précédée du dernier pirate valide, chargé de lui ouvrir la route, et en aidant la rattataki à rejoindre l'infirmerie de son navire. A ses yeux un bon allibi pour quitter la future épave qu'était le AA-9. Et si l'un ou l'autre voulait jouer au plus malin, elle se ferait un plaisir de l'expédier en enfer.