- mer. 20 juin 2018 13:39
#32986
- Un retard bien que léger. Un air absent. Des pas incertains. Et … si l’Empereur se croyait malin avec ses antalgiques et sa combinaison isotherme, il se trompait. La Reine l'avait observé toute la journée. Depuis le premier hochement de tête nerveux. Le constat était flagrant. Si la température corporelle de l’Humain se maintenait dans la moyenne, celle de son crâne, en revanche, battait des records. Premier point inquiétant. Et dont chaque Arkanien en présence un peu attentif put faire silencieusement la remarque. Elizabeth garda l'information pour elle. Jusqu'au cocktail de l'après-midi. C'est là qu'elle surprit le geste secret de l’Empereur. Il se bourrait, semblait-il, de gélules. Incroyable. Elle ne l'avait aperçu que par zèle de surveillance. Une chance. Pas assez pour empêcher ce qui allait arriver.
- « Le style arkanien ne vous plait pas ? »
Toutes les attentions étaient pendues aux lèvres de l’Empereur. Aïe. Harlon ! Il titubait, offensant qui voulait bien se laisser offenser. N'avait il pas révisé la leçon de son Petit Diplomate ? Les Arkaniens sont … susceptibles ! Bingo. L’architecte recula d’un pas, camouflant une moue contrariée. Tout ceci avait demandé tant d'efforts. L’accueil chaleureux des Humains était toujours très soigné. Et l’Empereur … venait de balayer tout ça d’un simple … d'un simple quoi bon sang ? Qu'est ce qui te prend !? Harlon ! Un oeil vitreux d’Arkanien aurait sans mal repéré que la Reine commençait à perdre patience. Colère. C'était raté.
La petite fête terminée, chacun rejoignit son chauffeur. Un Conseiller intercepta le Monarque avant qu'elle ne disparut à son tour, mue par sa contrariété.
- « Ma Reine.
Sanaro. C'est urgent ?
Assez. »
La messe basse ne dura qu'un instant suffisamment court pour n’inquiéter personne.
- « Le journaliste que nous avions invité vient de rendre sa caméra. Ce n'est pas brillant. On ne peut pas diffuser ça. »
Pour les événements de ce genre, le gouvernement préférerait faire appel à des journalistes émérites et fournir tout le matériel. Il garantissait ainsi de pouvoir contrôler ce qui allait transparaître de cette journée dans les médias officiels. Le cyborg poursuivit.
- « Ce sont pratiquement des insultes. On ne pourra diffuser que la dernière partie. Et votre discours du matin. »
La Reine acquiesça.
- « Faites le nécessaire. »
Et s'en alla, encore un peu plus en colère.
En bas des escaliers, le portier fit monter la Reine dans le speeder qui conduisait les deux Chefs d’État. Elle y retrouva Harlon, en petite forme. Ils étaient seuls. La tête en feu ?
- « J'ai vu ça. »
La réponse se voulait empreinte de calme, mais après l'avoir articulée, Elizabeth douta de sa bonne interprétation par la partie adverse. Elle posa ses mains sur celles d’Harlon, brûlantes.
- « Vas te reposer. »
Si ça peut te permettre d’être moins désagréable avec tout le monde.
- « Nous ne sommes pas obligés d’aller où que ce soit. Bien qu’officielle, la sortie de ce soir n’implique que nous, annuler n’est pas un problème. Et nous avons tous les deux besoin de repos. »
Le trajet jusqu’à l’ambassade impériale fut rapide, et relativement silencieux.
- « Je ne t’en voudrai pas. Si tu souhaites que nous n’allions pas à l’opéra ce soir, préviens-moi au moins une heure avant la représentation. »
L’Empereur regagna ses quartiers, il avait trois heures devant lui. Le speeder fila ensuite jusqu’à l’annexe novanienne du Dominion. Quelques bureaux qui servaient temporairement de lieu de travail des ministres locaux. Elizabeth avait obtenu de pouvoir en utiliser temporairement deux. Le Conseiller Sanaro l’y attendait avec patience. Il ne reparla pas du comportement de l’Empereur, préférant accorder son attention à des sujets mis de côté depuis quelques jours. Mais il trouvait la Reine distraite.
La pensée d’Elizabeth divaguait. Elle avait passé une mauvaise journée, à surveiller les extravagances d’Harlon. Il avait, vraisemblablement, quelque faiblesse passagère. Comment cela pouvait-il arriver. Comment pouvait-on se présenter devant une délégation diplomatique avec l’esprit si embrouillé. De son point de vue, s’excuser devait traduire une forme de lâcheté. L’Arkanienne dissertait mentalement sur le sujet quand le comlink du bureau grésilla, attirant l’attention à lui.
- « Qsorm en communication.
Allez-y. »
Il y eut un bref silence. Sanaro affichait une moue perplexe, rendue par sa supérieure. La voix du cyborg se fit enfin entendre.
- « Ma Dame. »
Il était bien l’un des seuls à la nommer ainsi, une vieille habitude qu’il n’avait pas voulu perdre.
- « Votre frère est réveillé. »
La Reine dissimula sa surprise, bien qu’elle fut seule avec le Conseiller.
- « Merci, Hyon. »
La communication coupa là. Le regard d’Elizabeth se promena un moment sur la table, pour finalement interroger Sanaro. Le Yaka eut un bref sourire.
- « Je devrais être capable de m’en débrouiller. »
La Reine s’en alla.
Le temps de se rendre à l’hôpital, la neige s’était mise à tomber. Hyon attendait en bas. Avant de le rejoindre, Elizabeth distribua ses ordres à la Garde.
- « Restez en bas.
Ma Reine, Kadmo Civicius n’est pas un interlocut…
Capitaine, regagnez l’Ambassade et assurez-vous que l’Empereur trouve une voie dégagée s’il entend se déplacer. »
L’Arkant, sans plus un mot, salua et obéit, sa contrariété allait crescendo ces jours-ci. Les autres agents ne discutèrent pas.
Le fidèle Hyon accompagna son maître jusqu’à la chambre de Civicius, réveillé depuis peu d’un comas long de plusieurs mois. Avant de se présenter à lui, sa soeur se tourna vers le cyborg.
- « Et Calena ?
Je ne l’ai pas encore prévenue.
Merci. »
Elle passa la porte, pour trouver son frère alité. Il ouvrit les yeux, tourna à peine la tête vers elle. Pendant de longues secondes, peut-être quelques minutes, ils restèrent tous deux silencieux. Si bien qu’Elizabeth se demanda s’il était en mesure de la reconnaître. Ses émotions étaient confuses. Joie et colère à la fois. Le conflit qui opposait ces deux-là était vieux de bon nombre d’années. Des promesses en l’air, des défis, des insultes. Ils avaient tout pour se détester. Mais frère et soeur en venaient toujours à trouver un terrain d’entente. Cette fois encore ?
Il laissa finalement entrevoir un sourire, incitant la Reine à s’approcher. Il referma les yeux presque aussitôt.
L’heure qui suivit se trouva être un long défilé de médecins en tous genres, principalement spécialistes du cerveau arkanien. Elizabeth s’était assise dans le fauteuil en face du lit. Elle attendait, elle écoutait. On s’arrêtait parfois à son niveau, pour présenter des excuses, on ne l’avait pas reconnu, ou pour lui poser des questions banales sur Kadmo. De temps à autre, l’Arkanienne jetait un coup d’oeil à l’horloge. Plus qu’une heure avant le verdict d’Harlon, soit deux heures avant la représentation.
Kadmo eut un sursaut, on se précipita à son chevet. Fausse alerte.
Combien de temps encore allait-il demeurer dans cet état à mi chemin entre l’inconscience et l’éveil. L’humeur de la Reine en avait pris un coup. Elle s’était d’abord réjouie de savoir son frère tiré d’affaire. Puis les questions l’avait assaillie. Et s’il ne se souvenait pas. Et s’il se souvenait. Et s’il lui en voulait. Et … et ainsi de suite.
Les spécialistes en blouse se lassèrent finalement, décidant qu’il lui fallait du repos, et des phrases simples. La chambre fut de nouveau vide. Le soir était tombé. Elizabeth profita du calme pour se lever et s’approcher du lit. Kadmo s’éveilla de nouveau.
- « Grande sœur. »
Un sourire au coin des lèvres.