- jeu. 4 mars 2021 09:44
#39137
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Au terme de la voie hyperspatial de Descri Wris trônait l’étoile du système Svolten parée de ses planètes, et parmi elles l’éponyme Svolten, abandonnée depuis bien longtemps. Le dernier des mondes Sith, oublié, délaissé. Nul peuple ne vivait ici. Seuls passaient des pirates et contrebandiers qui n’avaient jamais perdu le chemin de Svolten et qui venaient cacher leurs trésors par ici. Des villes il ne restait que des champs de ruines, et des Sith un vieux souvenir. Svolten était une terre sauvage, idéale pour les plans de la Dame Sombre.
Avec les Massassis, depuis Thule, le Grand Duc avait embarqué des ingénieurs, des soldats et les Morgukai de Vekko. Tous avaient posé pied à terre sur Svolten. La Jen’Ari leur avait souhaité bonne chance, et le Grand Duc avait fait demi-tour, remplir ses cales sur Thule et voler vers d’autres horizons. Le Maître n’avait laissé à Vekko que le Poing de l’Ombre, en cas de besoin.
Aussitôt, Trar’Var et Doranz avaient échangé d’agressifs grognements, jusqu’à déclencher un affrontement violent entre les tribus. Il avait fallu calmer tout le monde à grands cris et grandes menaces. Sans autre choix à sa disposition, Vekko fut contraint de dégainer son plus beau trophée : un sabre laser ocre arraché au cadavre d’un Jedi fraîchement défait, bien des années auparavant. La lame vibra avec force, hurla dans la cohue et les Massassis s’agenouillèrent. Les deux chamans furent forcés de présenter leurs excuses au héraut de Nekanasaza.
La première mission de Vekko et des siens fut de parcourir la planète avec le vaisseau, tous radars dehors. Il n’y avait rien. Des animaux, des créatures étranges, des ruines, une carcasse de cargo, et une poignée de pirates qui déchargeaient leur butin. Le Morgukai choisit deux emplacements pour que Doranz et Trar’Var purent installer leur tribu. La première près d’un lac frétillant de poisson, aux abords d’une vaste forêt ; et la seconde au pied d’un massif rocailleux depuis lequel on apercevait une cité en ruines et adossé à une montagne dont le gibier était abondant. Les ingénieurs et soldats de Thule montèrent le camp bien à l’écart des Massassis. Quand les tribus seraient enfin installées, huttes construites, panses pleines, les chamans seraient mis à contribution pour une exploration toute particulière de la petite planète.
L’installation prit plusieurs semaines, semaines au cours desquelles les Thuléens attendaient et perdaient patience. Pendant ce temps, les tribus terminaient de hisser les palissades des villages qu’elles avaient érigées. Les choses étaient plus simples ici que sur Yavin IV. Svolten ne connaissait que deux tribus, tandis que Yavin en comptait bien plus, et toutes aussi agressives que celles de Doranz et Trar’Var. Alors les agglomérats de huttes étaient devenus des villages.
Quand Vekko jugea les Massassis suffisamment acclimatés, il convoqua les chamans et leur imposa un travail commun. Le Dieu de la Guerre avait confié une mission qui devait être accomplie dans les plus brefs délais : trouver le point névralgique de Svolten et y dresser une forteresse digne de son nom. Doranz et Trar’Var, collaborer, quelle infamie ! Ils refusèrent. Le Morgukai feignit de se trouver obligé de faire son rapport au Maître, et les chamans changèrent d’avis. Les événements de Yavin IV étaient encore suffisamment récents pour que ni l’un ni l’autre n’eût oublié l’ombre de leur maître. Ils échangèrent un regard sombre empli de contrariété et se mirent au travail. Les deux Massassis prirent leurs aises auprès des soldats et des ingénieurs, ils réclamèrent leurs propres quartiers pour œuvrer dans le calme. Ils s’isolèrent, et pendant des jours durant, restèrent dans le silence, liés par l’esprit, méditant ensemble et partageant leurs forces, unis pour trouver l’autel qui verrait grandir le socle de l’Empire Sith.
… kanasaza … ne … kanasaza … kirs … nia iw kinima’ija …
Où est la Chasse ? Où est la Guerre ?
Quel ennemi sommes-nous venus défaire ici ?
Dieu de la Guerre.
… kinima’ija …
La rage de Doranz s’exprima d’un grognement hargneux. Il courait à toutes jambes vers un affrontement qu’il ne savait pas encore initié. Son poing fort serrait avec conviction la poignée de la lourde épée de mort qui l’avait toujours accompagné. Il allait au devant d’un combat magnifique dont il n’était qu’un protagoniste mineur, un guerrier parmi tant d’autres. La jungle, refuge qu’il parcourait à longues foulées, laissa place au champ de bataille, une terre cendrée qui fumait encore du feu meurtrier des canons. La lame de Doranz fendit un premier crâne sanglant, pour le plus grand plaisir de son porteur qui hurla avec courage. Cette guerre … on l’a lui avait apporté, on l’avait jeté dedans … La Guerre. L’adversaire tombait par dizaines, par centaines, quelle joie !
Trar’Var se hâtait à la suite du jeune Doranz, lui aussi aurait sa part de chair aujourd’hui ! Pas question de laisser à son rival la moindre avance, sa lame écraserait autant de crânes que sa jumelle ! Le guerrier ne connaissait ni peur ni doute, il chargeait telle une furie, crocs et serres en prise d’un vent qui avait déjà le goût du sang. Il n’eut pas un regard pour le ciel pourpre, pas un regret pour la forêt brûlée, pas une pensée pour l’être de chair qu’il éparpilla soudain en deux morceaux distincts sur le champ de bataille. Pourquoi tuait-il ? Parce que son maître le lui avait ordonné. Sa science de la Guerre était toute là.
Dos à dos, côte à côte, Doranz et Trar’Var tuaient, couraient, et tuaient encore, à l’instar de leurs ancêtres, des générations auparavant, au service d’un Dieu vile et cruel qu’ils vénéraient plus que tout.
Ils foulaient du pied la terre morte de Svolten, en quête des derniers guerriers à éradiquer. Chaque nouvelle enjambée les propulsait en avant, une foulée qui aboutissait inévitablement sur la réception lourde propre à ceux de leur espèce. Ils étaient deux monstres, deux colosses à la peau rouge comme le sang qui coulait dans leurs veines, un sang qui n’appartenait qu’à la Guerre. Et la Guerre les avait menés ici. Svolten. La plaine et les montagnes étaient vides d’ennemis. Pourtant la Force, par son infinie puissance, les guidait vers un formidable combat. Il en humait l’effluve à des lieues à la ronde.
Un monde gris. Tout était gris au petit matin, quand le soleil n’avait pas encore franchi l’horizon. Ici, tout était gris, tout le temps. Doranz et Trar’Var avaient joint leurs esprits pour gagner le monde onirique et revêtir leur peau d’antan, la peau de leurs ancêtres, les chamans guerriers massassis. Dans le monde-rêve, tout était gris, tandis que Svolten était verte et bleue, pleine de promesses. Doranz et Trar’Var traquaient l’unique promesse, celle faite à leur maître, le Dieu de la Guerre, Nekanasaza. S’ils ne les voyaient, ils pouvaient sentir les courants de Force Noire qui les poussaient vers une destination dont ils ignoraient tout, tout comme la source de ce combat interminable qui avait divisé les tribus, inconnue. Ils cherchaient l’épicentre, la source de la colère, la source de la Guerre.
Une ombre surgit devant eux. Trar’Var n’hésita pas à la pourfendre en grognant rageusement. Il provoqua ainsi la jalousie de Doranz, qui profita de son avance pour réduire en miettes le prochain obstacle à se dresser face à eux. Tout autour, de tous les côtés, les ombres s’élevèrent depuis la cendre tiède et de la terre tirèrent des armes vieilles de milliers d’années. Des centaines de guerriers morts revinrent à la vie pour empêcher les deux guerriers de trouver la source. Des centaines d’âmes jamais retournées à la Force. Les deux Massassis râlèrent de dédain, se jetant mutuellement un défi, à qui en abattrait le plus. Les lourdes épées sifflèrent dans le vent et retombèrent sur les crânes de terre et de pierre. Ils avançaient ainsi, tailladant et écrasant tout sur leur passage, leur course n’était que ralentie, pas stoppée. Rien ne pouvait les arrêter.
Chaque ennemi tombé fondait en d'innombrables éclats friables, et les éclats s’assemblaient encore pour former un nouveau soldat. Un combat sans fin. Une Guerre infinie. Trar’Var percevait là les échos d’une vie passée, tandis que Doranz entendait résonner les promesses d’une vie future. Ensemble, ils étaient un tout combattant les échecs précédents et les obstacles avenirs.
Une lame de terre toucha soudain son but et se planta dans le cœur de Trar’Var qui poussa un cri sans pareil, il hurlait toute sa rage, aucune douleur. Impossible défaite. Le regard de Doranz tomba sur lui, un regard victorieux. Il avait gagné. Il allait mourir. L’épée de Doranz balaya brutalement l’air devant lui afin d’éloigner les soldats gris. Il profita de cette unique seconde de répit pour tendre une main vers son éternel rival. Trar’Var n’avait pas lâché son arme, mais sa main libre n’hésita pas un instant à saisir celle de son sauveur momentané, et il se jura qu’il ne laisserait plus jamais pareille situation se produire. À l’instant même où il accepta l’aide de son frère, il formula sa promesse de victoire éternelle et la toile du monde-rêve se déchira sous eux pour anéantir les soldats de cendre et les plonger au cœur de Svolten.
La Source. Ni Doranz ni Trar’Var ne pouvait imaginer la couleur de ces cristaux si hauts et si beaux. Rouges, comme le sang. Bleus, comme la lune. Mais de leurs yeux emplis de haine, ils en reconnurent la beauté. C’était ici qu’il fallait établir le repère du Maître, car c’était là l’origine et la fin des courants, ici que la Force dormait. Sans un mot, tous deux se trouvèrent d’accord.
Les chamans ouvrirent les yeux en même temps et guidèrent les hommes jusqu’aux cristaux pour faire débuter les travaux. Les guerriers des deux tribus se mirent au travail pour creuser et ériger les fondations de la forteresse du Maître. Kirsai Tsakwia.