- dim. 9 juil. 2017 20:25
#28953
Ecrasant.
S'il existait un mot pour commencer à effleurer la surface de la charge émotive déployée depuis peu. L'ovale qui attaquait depuis les murs les deux êtres enfermés dans cet endroit rond et effilé ne se fixaient plus que par les yeux. Les mots allaient et venaient, durs, blessants, trop peu doux. Il n'était pas venu un temps de baume placé sur les coeurs. Chacun pointait sur l'autre un couteau émoussé à la garde de rouille, chargé de rancoeur et de non-dits, des ustensiles qui n'avaient jamais été brandis que pour exprimer à tort une envie de s'asseoir à table comme une seule entité.
Harlon, du plus loin qu'il se souvenait, avait perçu ses mots comme porteurs de dégâts latents. Mais il était une chose qu'il n'avait, pour rien au monde, prévu en cet instant.
Ce qu'expliquait Elizabeth tombait sous le sens. Il n'y avait pas eu d'échange, par manque de confiance. On eut put être vexé, un temps ou une vie, de cet aveu, mais dans le monde sournois et empli de vipères rampantes qu'était la politique, se prémunir était la règle d'or. Pour autant, Harlon avait brisé l'omerta entourant cette tradition auprès d'elle. Un retour n'était pas attendu - tel résidait l'intérêt d'un acte désintéressé, aussi rares fussent-ils dans ce domaine - mais en l'absence d'un retour en question, aucune gentillesse ni considération n'était à exiger.
Deux choses, alors, se brisèrent. La voix de l'Arkanienne, après un moment d'égarement et d'aveu torturé, se laissa tomber dans les soubresauts éraillés... jusqu'à la démonstration d'un interdit, d'un tabou de la Haute. Un acte qui inspirait d'ordinaire mépris, rires gras et accusations de faiblesse.
Des larmes coulaient le long de la joue de la femme face à lui. Harlon écarquilla les yeux devant ce constat, tombant comme un couperet.
C'était sa faute... entièrement sa faute.
Harlon ferma son visage, plissa tristement les yeux, et inclina le menton, presque posé sur le gorgeret léger qui soutenait ses épaulières ornementales. La tête ainsi inclinée, dans une position d'humilité restreinte, il porta ses yeux sur le petit fleuve salé qui roulait sur le satin perlé d'une peau pâle. Il avança une jambe... la droite, qui se figea un bref instant. Il pouvait encore reculer... Renier tout ceci. Batailler avec les angoisses d'une femme sous l'emprise de tourments inconnus ? Supporter des caprices lunatiques ?
Il pouvait laisser là choire sa jambe gauche. La ramener au niveau de la droite, stopper, attendre, dos droit, menton levé. Charger son regard de ce mépris dont les nobles étaient si friands. Condamner en silence une preuve de faiblesse qui ne séyait pas à une Reine. La peine personnelle devait être tarie, enfouie, et ne se libérer qu'une fois le travail accompli.
Harlon fit alors un choix.
Un choix porté depuis le début. Depuis l'instant sur Télos où Elizabeth Civicius choisit de s'asseoir timidement à ses côtés, dans un jardin botanique artificiel, à admirer une plantation qui n'aurait pas dû pousser là.
Par le choix d'Elizabeth Civicius d'accepter de venir à lui une soirée. De lui pardonner un coup d'éclat qui aurait du le condamner.
Par une sincérité rare, et un éclat au fond de ces yeux d'ivoire poli, vides de tout mais tellement emplis à la fois.
Par cette bague acceptée sans coup férir, sans abuser de ses privilèges, sans user de son pouvoir pour s'y porter plus avant encore.
Harlon avança encore. Il ouvrit doucement les bras, plaça une main sur l'épaule gauche de l'arkanienne. D'un petit mouvement ferme et amical, comme celui d'un danseur de Bachata appelant à lui sa partenaire endiablée. De sa main gauche, il glissa jusqu'au creux des omoplates de la Dame, porta sa main à plat, doucement, sans forcer, dans sa nuque. Naturellement, il voulut l'attirer à lui. Laisser choire le visage embué de larmes au creux de son cou... Poser sa joue sur ses cheveux gris. Ramener sa main droite dans le dos d'une femme secouée par tant de choses.
Entre le mépris et la tolérance, il avait choisit autre chose. Il avait choisi le réconfort. Qui viendrait en son temps.
Il avait choisi en silence ce destin qui paraissait si peu reluisant. Celui de batailler contre des angoisses, survenues entre deux caprices lunatiques. Celui de porter un fardeau aveugle, qui lui restait hors de portée. De comprendre, mais sans savoir. De pardonner, sans jamais savoir quelle offense serait commise, ni quand, ni de quelle façon, ni dans quelle mesure.
Quand le temps des larmes passa, que les joues purent sécher au contact de l'air recyclé d'un bunker militaire, Harlon écarta doucement sa tête... courba l'échine, et mit ses mains en coupe pour soutenir tête et regard de l'arkanienne. Lui demander fermement mais sans douleur de le regarder. D'admirer ce qu'il lui offrait.
Ce qu'il lui offrait, c'était un visage sans trace, sans colère, sans mépris, sans rancune. Juste un visage affublé d'un sentiment de compassion, de compréhension, d'affection... et d'un sourire léger, comme une virgule en coin de phrase.
Il essuya d'un revers du doigt une larme en suspens, abandonnée de ses congénères dans leur course folle vers le centre de gravité de tout un peuple. Une goutte perla au bout de ce doigt, réverbérant tout un monde les entourant, caléidoscope de misère saline échappée d'un corps qui ne laissait d'ordinaire rien s'échapper sans filtre.
D'un sourire amical, il reprit une façade plus alarmée.
Des songes l'avaient conduit à cet instant. Il se demandait alors ce qu'il convenait de faire. Partir, déclamer son aide, discuter stratégie comme si de rien ne s'était passé... l'embrasser, peut-être. Mais ultimement, Harlon décida de ne pas imposer son impériale majestée. Il laissait en définitive un choix, le dernier. Tout serait ensuite scellé.
A tout jamais.
S'il existait un mot pour commencer à effleurer la surface de la charge émotive déployée depuis peu. L'ovale qui attaquait depuis les murs les deux êtres enfermés dans cet endroit rond et effilé ne se fixaient plus que par les yeux. Les mots allaient et venaient, durs, blessants, trop peu doux. Il n'était pas venu un temps de baume placé sur les coeurs. Chacun pointait sur l'autre un couteau émoussé à la garde de rouille, chargé de rancoeur et de non-dits, des ustensiles qui n'avaient jamais été brandis que pour exprimer à tort une envie de s'asseoir à table comme une seule entité.
Harlon, du plus loin qu'il se souvenait, avait perçu ses mots comme porteurs de dégâts latents. Mais il était une chose qu'il n'avait, pour rien au monde, prévu en cet instant.
Ce qu'expliquait Elizabeth tombait sous le sens. Il n'y avait pas eu d'échange, par manque de confiance. On eut put être vexé, un temps ou une vie, de cet aveu, mais dans le monde sournois et empli de vipères rampantes qu'était la politique, se prémunir était la règle d'or. Pour autant, Harlon avait brisé l'omerta entourant cette tradition auprès d'elle. Un retour n'était pas attendu - tel résidait l'intérêt d'un acte désintéressé, aussi rares fussent-ils dans ce domaine - mais en l'absence d'un retour en question, aucune gentillesse ni considération n'était à exiger.
Deux choses, alors, se brisèrent. La voix de l'Arkanienne, après un moment d'égarement et d'aveu torturé, se laissa tomber dans les soubresauts éraillés... jusqu'à la démonstration d'un interdit, d'un tabou de la Haute. Un acte qui inspirait d'ordinaire mépris, rires gras et accusations de faiblesse.
Des larmes coulaient le long de la joue de la femme face à lui. Harlon écarquilla les yeux devant ce constat, tombant comme un couperet.
C'était sa faute... entièrement sa faute.
Harlon ferma son visage, plissa tristement les yeux, et inclina le menton, presque posé sur le gorgeret léger qui soutenait ses épaulières ornementales. La tête ainsi inclinée, dans une position d'humilité restreinte, il porta ses yeux sur le petit fleuve salé qui roulait sur le satin perlé d'une peau pâle. Il avança une jambe... la droite, qui se figea un bref instant. Il pouvait encore reculer... Renier tout ceci. Batailler avec les angoisses d'une femme sous l'emprise de tourments inconnus ? Supporter des caprices lunatiques ?
Il pouvait laisser là choire sa jambe gauche. La ramener au niveau de la droite, stopper, attendre, dos droit, menton levé. Charger son regard de ce mépris dont les nobles étaient si friands. Condamner en silence une preuve de faiblesse qui ne séyait pas à une Reine. La peine personnelle devait être tarie, enfouie, et ne se libérer qu'une fois le travail accompli.
Harlon fit alors un choix.
Un choix porté depuis le début. Depuis l'instant sur Télos où Elizabeth Civicius choisit de s'asseoir timidement à ses côtés, dans un jardin botanique artificiel, à admirer une plantation qui n'aurait pas dû pousser là.
Par le choix d'Elizabeth Civicius d'accepter de venir à lui une soirée. De lui pardonner un coup d'éclat qui aurait du le condamner.
Par une sincérité rare, et un éclat au fond de ces yeux d'ivoire poli, vides de tout mais tellement emplis à la fois.
Par cette bague acceptée sans coup férir, sans abuser de ses privilèges, sans user de son pouvoir pour s'y porter plus avant encore.
Harlon avança encore. Il ouvrit doucement les bras, plaça une main sur l'épaule gauche de l'arkanienne. D'un petit mouvement ferme et amical, comme celui d'un danseur de Bachata appelant à lui sa partenaire endiablée. De sa main gauche, il glissa jusqu'au creux des omoplates de la Dame, porta sa main à plat, doucement, sans forcer, dans sa nuque. Naturellement, il voulut l'attirer à lui. Laisser choire le visage embué de larmes au creux de son cou... Poser sa joue sur ses cheveux gris. Ramener sa main droite dans le dos d'une femme secouée par tant de choses.
Entre le mépris et la tolérance, il avait choisit autre chose. Il avait choisi le réconfort. Qui viendrait en son temps.
Il avait choisi en silence ce destin qui paraissait si peu reluisant. Celui de batailler contre des angoisses, survenues entre deux caprices lunatiques. Celui de porter un fardeau aveugle, qui lui restait hors de portée. De comprendre, mais sans savoir. De pardonner, sans jamais savoir quelle offense serait commise, ni quand, ni de quelle façon, ni dans quelle mesure.
Quand le temps des larmes passa, que les joues purent sécher au contact de l'air recyclé d'un bunker militaire, Harlon écarta doucement sa tête... courba l'échine, et mit ses mains en coupe pour soutenir tête et regard de l'arkanienne. Lui demander fermement mais sans douleur de le regarder. D'admirer ce qu'il lui offrait.
Ce qu'il lui offrait, c'était un visage sans trace, sans colère, sans mépris, sans rancune. Juste un visage affublé d'un sentiment de compassion, de compréhension, d'affection... et d'un sourire léger, comme une virgule en coin de phrase.
« Elizabeth... »
Il essuya d'un revers du doigt une larme en suspens, abandonnée de ses congénères dans leur course folle vers le centre de gravité de tout un peuple. Une goutte perla au bout de ce doigt, réverbérant tout un monde les entourant, caléidoscope de misère saline échappée d'un corps qui ne laissait d'ordinaire rien s'échapper sans filtre.
D'un sourire amical, il reprit une façade plus alarmée.
« Dites moi ce que vous voulez que je fasse... »
Des songes l'avaient conduit à cet instant. Il se demandait alors ce qu'il convenait de faire. Partir, déclamer son aide, discuter stratégie comme si de rien ne s'était passé... l'embrasser, peut-être. Mais ultimement, Harlon décida de ne pas imposer son impériale majestée. Il laissait en définitive un choix, le dernier. Tout serait ensuite scellé.
A tout jamais.